Les caméras au village

Rédigé par Antoine Courmont et Jeanne Saliou

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19 novembre 2021


Depuis quelques années, le déploiement de la vidéosurveillance s’intensifie, à bas bruit, dans les petites communes françaises. Des villages de quelques centaines d’habitants, parfois situés en zones rurales, connaissant des taux de délits faibles, sont de plus en plus nombreux à s’équiper de coûteux dispositifs de vidéoprotection. Qu’est-ce qui conduit les maires de ces communes à s’équiper en vidéoprotection ?

La presse locale se fait l’écho d’installation de dizaines de caméras dans des villages de quelques centaines d’habitants, alors que leur efficacité dans la prévention ou la lutte contre la délinquance reste controversée. Comment les caméras sont mises à l’agenda municipal ? Ces installations provoquent-elles des protestations ?

En l’absence de base de données nationale sur les communes équipées, pour répondre à ces questions, le LINC a mené une étude exploratoire au travers d’une analyse des articles parus sur le sujet dans deux quotidiens régionaux (Ouest France et La Voix du Nord) entre 2010 et 2021. Si elle donne à voir la vidéosurveillance uniquement par le prisme de son traitement médiatique, l’étude de la presse locale permet d’identifier les villes qui s’équipent, les acteurs mis en avant dans ce processus, les éventuelles controverses, et les arguments mobilisés. L'analyse de la PQR sur une période de dix ans permet également de percevoir certaines évolutions dans le traitement du sujet par les médias locaux. Elle permet enfin de repérer un certain nombre de similitudes entre communes, mais également des dynamiques temporelles différentes.

Le développement des caméras dans les villages français s’inscrit tout d’abord des dynamiques nationales d’essor de la vidéosurveillance. Depuis le milieu des années 1990, l’évolution du cadre législatif, les volontés politiques, l’écosystème économique et des transformations des politiques nationales de maintien de l’ordre ont contribué au recours croissant à ces dispositifs technologiques dans l’espace public.

Si la diffusion de la vidéosurveillance dans les villes n’est pas un phénomène homogène détaché des conditions locales de son développement, la lecture de la presse locale fait émerger un certain nombre de similitudes dans les dynamiques d’installation et de développement de ces dispositifs. Un fait divers, la mobilisation des habitants, le lobbying de la gendarmerie et une dynamique de mimétisme avec les communes voisines conduisent les maires à mettre le sujet à l’agenda municipal. Si le coût de ces dispositifs est loin d’être négligeable pour les budgets communaux, ces municipalités peuvent bénéficier de subventions incitatives de la part de l’Etat mais également des régions, des départements et des structures intercommunales.

Une fois les caméras en place, elles ne sont jamais désinstallées, même en cas de changement de majorité municipale. Au contraire, alors que leur effet sur les délits n’est pas évalué, les communes tendent à accroître leur parc pour « combler les trous dans la raquette ». En effet, l’investissement dans la vidéosurveillance présente un intérêt symbolique pour les élus municipaux. D’une part, la sécurité constitue un capital politiquement valorisable lors des élections locales. D’autre part, par son rôle rassurant, elle constitue un facteur d’attractivité territoriale pour les entreprises et les habitants.  Enfin, l’essor de la vidéosurveillance dans les petites communes françaises témoigne de la recomposition de l’action de l’État et de sa présence territoriale. En retrait sur certains territoires, l’État promeut parallèlement des instruments alternatifs pour améliorer l’allocation de ses ressources (vidéosurveillance, voisins vigilants, etc.). A cet égard, le développement des dispositifs de vidéosurveillance doit être perçu moins comme une volonté manifeste de surveiller la population que comme une réponse technologique au défi organisationnel de rationalisation de l’activité policière sur les territoires

 


Illustration - Noel Reynolds - CC BY 2.0


Article rédigé par Antoine Courmont et Jeanne Saliou