Comment la vidéosurveillance vient au village ?

Rédigé par Antoine Courmont et Jeanne Saliou

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19 novembre 2021


Quelles sont les dynamiques de mise sur l’agenda municipal des caméras de videosurveillance ? La mise en œuvre de ces dispositifs suscite-t-elle des  réticences ou des oppositions locales ? Y a-t-il des traductions locales particulières ?

Des faits divers aux caméras : des problèmes divers, une solution technologique

La mise sur agenda municipal de la vidéosurveillance s’exerce selon des temporalités et des dynamiques propres à chaque territoire. Certaines petites communes rurales sont équipées depuis plus de quinze ans tandis que d’autres, pourtant situées au cœur de zones équipées, résistent à la vidéosurveillance. Ainsi, comme l’a pointé la politiste Audrey Freyermuth, « la diffusion de la vidéosurveillance dans les villes n’est pas un phénomène homogène détaché des conditions locales de son développement ». La lecture de la presse locale fait toutefois émerger quelques similitudes dans les processus d’installation et de développement de ces dispositifs. En premier lieu, la couleur politique de la majorité municipale ou les chiffres locaux des crimes et délits semblent jouer un rôle moins important que la coalition d’acteurs (riverains, commerçants, gendarmes, assureurs, etc.) qui se forme suite à des faits divers survenus sur la commune.

Des pressions multiples et convergentes 

Dégradations de bâtiments publics, dépôts sauvages d’ordures, rodéos urbains, cambriolages, attroupements bruyants répétés, petits délits routiers, etc. Une série de faits divers, de différentes natures, est souvent à l’origine de la mise sur agenda de la vidéosurveillance dans les petites communes. Suite à ceux-ci, plusieurs acteurs se mobilisent, alternativement ou conjointement, pour défendre la mise en place de caméras et trouvent des relais dans les médias locaux.

Les faits divers de petite et moyenne délinquance dans les petites communes suscitent une demande de la population pour des solutions de vidéosurveillance, et ce tout particulièrement lorsqu’ils sont récurrents et concernent des biens privés. Ces demandes s’expriment sous différentes formes (courriers, pétitions, interpellations dans des réunions publiques, etc.). Ainsi, à Saint-Quay-Portrieux, (Côtes-d’Armor, 3200 habitants), les habitants ont présenté à la mairie en 2011 une pétition demandant l’installation de caméras suite à des actes de vandalisme saisonnier répétés. De même, l’installation de sept caméras à Trouville-sur-Mer (Calvados, 4675 hab.) en 2013 faisait suite à une demande des commerçants de la commune. Ce penchant citoyen à la vidéosurveillance peut sembler surprenant. Pour Guillaume Gormand, une des explications repose sur l’accoutumance à l’outil du fait de la multiplication des systèmes de vidéosurveillance dans des lieux privés (banques, commerces, transports publics, parkings, etc.), ce qui a pour effet de participer à « la construction de l’illusion de l’efficacité intrinsèque et non contextualisée de la vidéosurveillance » (p. 71). Ces mobilisations variées de la population sont particulièrement importantes dans la décision des municipalités qui, lorsque l’adhésion citoyenne n’est pas spontanément exprimée, prennent la température au travers de consultations publiques, ou encore de référendum comme à Saint-Arnoult (Calvados, 1195 hab.). Parallèlement aux demandes citoyennes, l’acceptation du dispositif par la population est tout aussi clé et conduit la municipalité à organiser des sessions d’information à destination des citoyens. A cette fin, les autorités locales constituent également parfois, dans les communes les plus importantes, des commissions d’éthique et adoptent des chartes de déontologie. La municipalité de Flers (Orne, 14779 hab.) expliquait ainsi avoir « fait le choix, ce qui n’est pas obligatoire, de créer une charte éthique et un comité d’éthique qui sera composé de conseillers (majorité et opposition) et d’un collège de techniciens (des professionnels en lien avec la prévention et la répression de la délinquance) ». L’objectif de ces mécanismes et outils de contrôle a posteriori est de rassurer la population sur le respect des droits et donc d’atténuer l’opposition. Dans les faits, l’activité de ces comités est limitée : ils se réunissent peu et n’exercent pas de réel contrôle sur l’usage et le développement de la vidéosurveillance.

Les forces de l’ordre (police ou gendarmerie selon la zone de compétences) mettent également en avant auprès des maires l’aide que leur procurent des caméras judicieusement positionnées dans le village pour résoudre leurs affaires. Soutenu par les préfets, représentants locaux de l’Etat, ce recours technologique s’inscrit dans les transformations des politiques de maintien de l’ordre à l’échelle nationale. Les gendarmes interviennent en amont directement auprès des maires en présentant, chiffres de la délinquance à l’appui, la vidéoprotection comme un « prérequis » à la résolution de leurs enquêtes en milieu rural. Ils multiplient notamment les présentations au sein des réunions des conseils communautaires comme le relate un commandant de la compagnie de gendarmerie de Compiègne : « L'intercommunalité est le bon échelon pour avoir ce point de contact privilégié. Cela permet de toucher plusieurs maires qui ont à gérer un bassin de vie avec des problématiques communes, comme celui de la délinquance ». Ces diagnostics départementaux de sûreté constituent un argument fort pour les élus en quête de solutions pour rassurer la population. Les maires sont ainsi incités à, voire sommés d’agir par les forces de police ou de gendarmerie locale qui promeuvent ces solutions au côté de l’opposition quand la majorité municipale y est opposée (Saint-Avé, Morbihan, 11 000 hab., 2016).  Outre leur investissement auprès des maires, les forces de l’ordre participent également à cette entreprise de légitimation des caméras auprès des populations locales. Il est fréquent qu’un représentant de la gendarmerie ou de la police soit présent lors des réunions publiques pour mettre en avant les bienfaits de la vidéosurveillance devant les habitants. A Saint-Arnoult (Calvados, 1195 hab.), la réunion publique d’information en amont de la pose des caméras fut l’occasion pour le commissaire, aux côtés d’un représentant de la société en charge de l’installation, de présenter aux habitants le dispositif et de vanter leur intérêt. 

Les pressions en faveur de la vidéosurveillance s’exercent également par les acteurs économiques. Les entreprises de vidéoprotection sollicitent directement les maires pour leur proposer différents produits. Plus spécifiquement, les compagnies d’assurance plaident également en faveur de ces installations. La hausse des dégradations des bâtiments municipaux est en effet souvent synonyme pour les communes d’une hausse des franchises d’assurance. A ce titre, l’installation de caméras devient essentielle pour négocier les tarifs avec les assureurs. Enfin, les commerçants jouent un rôle dans la mise en place de la vidéosurveillance comme le pointaient déjà en 2001 Christophe Bétin, Emmanuel Martinais et Marie-Christine Renard, à partir du cas de la presqu’île de Lyon.

L’installation de caméras est également présentée comme une solution aux manques de moyens humains pouvant assurer le maintien de l’ordre sur le territoire. A Brienon-sur-Armançon (Yonne, 3300 hab., 29 caméras) alors que la caserne de gendarmerie a quitté la ville en 2012, le maire déplore le manque de personnel policier et la hausse du trafic de drogues : « Nous connaissons un développement des trafics de stupéfiants attesté tant par le milieu médical que par les gendarmes. Ces caméras doivent être un instrument pour chasser ces trafiquants ». Une conseillère municipale abonde : « L’absence d’une surveillance systématique au profit d’une recherche de données uniquement sur demande nous a fait basculer. Le citoyen ne se sentira pas fliqué. J’ai fait partie des plus réticents mais, avec un seul policier municipal, nous avons besoin d’un appui technique. » Le maire de Burbure (Pas-de-Calais, 2984 habitants), René Hocq, perçoit également la vidéosurveillance comme une solution à la raréfaction de la présence de la police nationale : « Je faisais partie des 80% de gens opposés à la vidéosurveillance mais j'ai changé d'avis (…) Depuis la fusion des commissariats de Lillers et Auchel, il n'y a plus que 40 policiers au lieu de 80. Il faut bien se débrouiller : on n'a pas les moyens de créer une police municipale ou rurale. ».

Enfin, ces volontés d’implantation sont alimentées par des dynamiques de mimétisme entre communes avec d’une part une diffusion de proche en proche, et d’autre part l’imitation par certaines communes, notamment touristiques, d’autres villes au profil similaire. Dans le premier cas, l’effet incitatif vient de la crainte d’un déplacement de la délinquance vers les communes non équipées, souvent résumée par l’expression « d’effet plumeau » (qu’il soit réel ou non). C’est le cas d’Ecouflant (Maine et Loire, 3983 hab.) qui installait en 2017 ses premières caméras de surveillance après une augmentation significative de la délinquance, attribuée au déplacement des délinquants depuis les communes environnantes déjà équipées. Dans le second cas, des visites à titre informatif sont organisées à l’occasion desquelles les élus, gendarmes ou policiers de la commune déjà équipée présentent les installations et les conclusions de l’utilisation des caméras. C’est ainsi qu’à Redon (Ille-et-Vilaine, 8914 hab.) le débat au conseil municipal sur les modalités d’installation de caméras s’est structuré autour d’une double comparaison avec en modèle Vitré où « les gendarmes affirment que la vidéo protection est dissuasive », et en contre-modèle pointé par l’opposition, Ploërmel « quadrillé par 65 caméras qui n'ont pas fait varier les faits d'incivilités et de délinquance ».

 

Une (faible) opposition municipale et citoyenne 

Contrairement aux premiers projets français de vidéosurveillance dans les années 1990 et 2000, les articles publiés dans la presse locale font état de peu d’oppositions. Les mobilisations organisées de la part de la société civile sont anecdotiques. La Ligue des Droits de l’Homme est, dans l’Ouest, un des rares acteurs récurrents, mais son action est limitée géographiquement du fait de l’absence de sections locales dans les communes les plus petites. Dans ce vide laissé par les associations de défense des droits, naissent de manière très clairsemée des collectifs de citoyens. Le collectif Ploërmel sans vidéo est pionnier et isolé dans le paysage de la lutte contre l’installation des caméras de surveillance.

 

Une opposition structurée : le cas du collectif Ploërmel sans vidéo

Ploërmel fut la première ville équipée de caméras dans le Morbihan. Dès 2005, des caméras sont installées et le collectif Ploërmel sans vidéo naît de l’opposition non écoutée. Très rapidement le nombre de caméras double et en 2007, il atteint 61 caméras, passant dans le même temps d’installations localisées sur des bâtiments à une surveillance plus diffuse des places publiques, et ce malgré les protestations des élus de l’opposition. En 2008, un concours de circonstances entraîne un revirement. D’une part, le tribunal administratif saisi par le collectif citoyen annule l’autorisation d’exploitation des caméras à Ploërmel. D’autre part, un changement de majorité municipale s’opère avec les élections, portant à la tête de la mairie les élus de gauche. Résultat : le nombre de caméras diminue à 26.

Les réticences aux caméras sont le plus souvent portés par des maires peu convaincus ou par l’opposition. Au conseil municipal, si des voix s’élèvent, cela se traduit peu dans les votes des dossiers. Ceux-ci se font bien souvent à l’unanimité, ou avec pour unique signe d’opposition des abstentions. Rares sont les cas où des élus votent contre, et il ne s’agit alors que d’une poignée d’élus des partis les plus à gauche du spectre politique tels que les partis écologistes et communistes, et dans une moindre mesure, les socialistes. L’influence de la couleur politique sur le choix d’installer ou non une telle solution semble limitée comme l’ont déjà mis en évidence d’autres travaux de recherche, même si certaines colorations politiques peuvent aller de pair avec l’accroissement quantitatif des dispositifs.

 

… structurée autour d’arguments économiques

La surveillance de la population et la restriction des libertés individuelles et collectives sont des critiques de moins en moins mentionnées par les opposants. L’opposition se structure davantage autour d’arguments sur le coût, l’efficacité et la répartition des responsabilités entre l’Etat et les municipalités.    

Le coût du dispositif au regard de son efficacité est l’argument le plus fréquent. L’installation, l’entretien et l’exploitation requièrent un effort financier considérable pour les communes dans un contexte budgétaire contraint. Le montant est prohibitif pour un certain nombre de communes malgré les différentes subventions à leur disposition. Par exemple, en 2013, lors de ses vœux annuels, le maire d’Haverskerque (Nord, 1459 hab.), Hubert Bouquet, annonce envisager l’installation de la vidéo pour faire cesser des incivilités (poignées cassées à la salle des fêtes, mobilier urbain dégradé, géraniums arrachés...). Toutefois, le devis établi par une société de conseil pour l’installation de trois caméras lui fait changer d’avis. « C'est quand même un gros chiffrage financier entre l'installation, l'entretien... On n'en parle plus au conseil municipal. (…) Il faudrait « vraiment un gros coup » pour réactiver la piste vidéo ». Situation similaire pour le maire de Mercatel (Pas de Calais, 650 hab.) : suite au coût « proche de 20000€. Dans un premier temps, on a décidé de se rabattre sur le dispositif Voisins vigilants, qui sera mis en place début 2016. Pour les caméras, on verra après ». D’autres maires enfin refusent d’endosser la responsabilité et les coûts de ce dispositif de vidéosurveillance à la place de l’Etat. Le maire de Bonneuil-en-Valois (Oise, 1037 hab.) déclare ainsi : « Si mon conseil municipal me le demande, je mettrai ma démission sur la table. Si l’Etat ou un particulier souhaitent en installer, qu’ils le fassent, mais j’estime que ce n’est pas aux communes de payer pour ce type d’équipement dont les frais de fonctionnement sont importants ».  

Par ailleurs, certains maires ne sont en outre pas convaincus par l’efficacité du dispositif. S’appuyant sur les rapports publiés par la Cour des Comptes, des élus s’interrogent sur le rapport coût/efficacité de la vidéosurveillance. En outre, un dilemme surgit de manière récurrente, pendant de la question de l’efficacité. De nombreux opposants mettent en cause un simple effet plumeau, et donc l’absence de résolution du fond du problème des incivilités et dégradations. L’opposition dénonce ainsi : « Une caméra n'a jamais rien protégé ! », « C'est un effet plumeau, qui va déplacer les problèmes ailleurs... » (Plonéour-Lanvern, Finistère, 6079 hab.). D’autres pointent la fuite en avant face à ce supposé « effet plumeau » qui déplacerait la délinquance vers les communes ou les quartiers non équipés : « On répond alors à cela en ajoutant d'autres caméras : mais quand s'arrête-t-on ? » (Bruz, 17978 hab.). Plutôt que d’investir dans la vidéosurveillance, beaucoup de maires préfèreraient financer la police municipale ou souhaiteraient plus de patrouilles de la part des forces de l’ordre. C’est le cas, par exemple, de la maire de Touques (Calvados, 3760 habitants) qui justifiait ainsi en 2011 son rejet des caméras dans certains lieux publics : « j'ai refusé le projet de caméra sur la place de la Mairie. Je suis la maire de Touques, pas de Sarcelles. Et je préfère favoriser les rondes de police plutôt que poser des caméras partout. ».

Enfin, d’autres maires ne veulent se substituer à l’Etat et aux forces de l’ordre. « On peut en rajouter un peu chaque année [des caméras]. Qu'on fasse de la prévention et de l'écoute, c'est dans l'ADN de notre commune. Mais la sécurité ce n'est pas notre boulot, à part sur des événements précis. Il y a la police nationale qui existe. » (maire d’Houdain, Pas de Calais, 7364 hab.). « Je ne suis pas un adepte. Je reste attaché à nos libertés individuelles. Il n'y a pas que les caméras pour la sécurité. Depuis le temps qu'on demande une gendarmerie dans le secteur… » (maire de Longueil-Annel, Oise, 2597 hab.). « Il faut un financement pour cela. La vidéoprotection est un faux problème. Si les gendarmes y sont favorables, qu'ils trouvent les moyens de l'installer…» (Pierrefonds, Oise, 1840 hab.).

Face aux pressions multiples, les maires, malgré leurs réticences initiales, peuvent finalement consentir à recourir à ces technologies. La ville de Wambrechies (Nord, 10857 hab.), situé dans la métropole lilloise, a longtemps fait figure de résistant à la vidéosurveillance. Alors que toutes les communes environnantes sont équipées depuis le début des années 2010, le maire s’est longtemps montré peu favorable (« On essaie souvent de faire croire à la population que les caméras de vidéosurveillance sont la panacée, mais ce n'est pas le cas »). Il déplore la faible efficacité (« Il n'y a pas plus de 10% des faits délictueux qui sont élucidés grâce à ces caméras. »), les coûts de fonctionnement (« C'est bien beau l'aide de l'État, mais ce sont les villes qui assurent ensuite les charges de fonctionnement. ») et le manque de moyens humains (« Rien ne remplace les hommes et une patrouille sur le terrain »). Pourtant, alors que le bureau de la police nationale présent sur la ville a fermé en 2010 et que la commune connaît une augmentation de certains délits, il va progressivement mettre le sujet à l’agenda municipal sous la pression des habitants. En 2013, à quelques mois des municipales, il confie une mission sur la sécurité à l’un de ses adjoints qui va préconiser l’installation de quelques caméras. « Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis. Quelques conseillers (municipaux) n'y sont pas défavorables. Beaucoup d'habitants me disent aussi qu'il faut essayer. Il faut savoir être à l'écoute. Je ne suis toujours pas convaincu que la vidéosurveillance va résoudre beaucoup de problèmes, mais si elle permet de résoudre 10 à 15% des cas, c'est déjà bien. ». Votée en 2015, le système de vidéoprotection est opérationnel depuis 2017. En 2020, après un changement de majorité, la ville envisage de participer à la mise en place d’un centre intercommunal de surveillance urbaine (CSU). On retrouve dans cet exemple les réticences régulièrement avancées, mais également les facteurs favorisant la vidéosurveillance : communes voisines équipées, présence moindre des forces policières avec la fermeture du bureau, demande des riverains, etc.

Ainsi, comme en témoigne le cas de Wambrechies, le développement de la vidéosurveillance n’est pas un processus linéaire. Il s’inscrit dans des contextes locaux, des configurations d’acteurs, des relations de pouvoir et des intérêts qui favorisent ou au contraire limitent l’essor de la vidéosurveillance. En tout état de cause, les dynamiques et la vitesse de déploiement sont très variables d’une commune à l’autre. 

 

Le design d’une solution 

Une fois acté en conseil municipal le choix de recourir à des caméras, il reste à déterminer pour les communes les modalités pratiques du déploiement des caméras. Un premier élément déterminant est la nature du fait divers à l’origine de la démarche : les dégradations des bâtiments ou biens publics conduiront à des installations très localisées et limitées au voisinage de ces édifices, tandis que les incivilités ou cambriolages justifieront une approche plus diffuse, de surveillance de la voie publique.

Pour définir la localisation et les caractéristiques du dispositif de vidéosurveillance à mettre en œuvre, les maires s’entourent de différents experts, selon les ressources financières à leur disposition. Ce recours à cette expertise externe favorise pour les maires l’acceptation du dispositif, par la population et par l’opposition.

Si les grandes villes ont recours à des cabinets de conseil spécialisés sur les questions de sécurité, pour les communes rurales, les acteurs principaux demeurent les forces de l’ordre souvent incarnées par la gendarmerie, ou par le référent sûreté départementale. Ce poste, créé en 2007, au sein de la gendarmerie et de la police nationale, est doublement clé dans les projets de dispositif de vidéoprotection. D’une part, les référents ont pour mission d’élaborer des audits de vidéoprotection pour les communes à la demande des maires. Ils les conseillent sur le nombre et l’emplacement des caméras en fonction des routes et chemins d’accès à la commune et des problématiques rencontrées. D’autre part, leur avis sur les projets de vidéoprotection des communes fait partie intégrante des prérequis dans l’octroi des subventions du Fond Interministériel de la Prévention de la Délinquance FIPD. Sur la base du diagnostic départemental de sécurité, ces acteurs produisent divers éléments de la stratégie d’implantation. Etude de faisabilité, analyse du risque et aide pour la constitution du dossier préalable, la commune de Névez (Finistère, 2654 hab.) a pu ainsi bénéficier d’un appui très poussé de la part des forces de gendarmerie dans l’élaboration de son projet de vidéoprotection. Néanmoins, comme le soulignait une élue de l’opposition de la municipalité de Bréhal (Manche, 3277 hab.), ces diagnostics manquent parfois de transparence. Dans le cas de cette commune de la Manche, l’accès au diagnostic fut refusé aux élus de l’opposition par le maire, sous couvert de confidentialité, laissant ainsi un flou sur les données utilisées pour arguer de « [l’]augmentation des atteintes aux biens et à la tranquillité publique depuis 2015 » justifiant l’installation de caméras, à hauteur d’une caméra pour 75 habitants.

Les forces de l’ordre peuvent également conseiller les municipalités sur le type de caméras et les emplacements les plus adéquats où installer les caméras. Dans ce cadre, les gendarmes recommandent bien souvent, et notamment en cas de cambriolages répétés, l’installation de caméras aux entrées et sorties des villes capables de lire les plaques d’immatriculation. Cette expertise peut être complétée d’une étude d’implantation d’un cabinet spécialisé, en la matière qui peut aussi chiffrer le coût de l’installation. Enfin, sur certains territoires, les syndicats mixtes en charge de l’aménagement numérique des territoires ajoutent à leurs offres de services aux communes une expertise dans l’installation de dispositifs de vidéosurveillance.

Suite aux études préalables à l’implantation, les municipalités doivent soumettre à la préfecture une demande d’autorisation préfectorale, étudiée par les commissions départementales des systèmes de vidéoprotection qui s’assurent du respect du cadre légal. Cette demande d’autorisation est doublée d’une demande de subvention via les fonds nationaux (FIPD, DETR) conditionnant toutes deux la conduite du projet. En effet, compte-tenu du coût des dispositifs de vidéoprotection, l’obtention de subventions est bien souvent la condition sine qua non de la réalisation du projet. De manière croissante à partir de 2014, les communes peuvent également solliciter des fonds régionaux ou départementaux en cas de rejet de demande de subventions de fonds nationaux.

Lorsque ces indicateurs sont au vert, le conseil municipal vote l’attribution du marché à l’une des sociétés ayant réalisé un devis. Cependant, il est parfois nécessaire de réaliser des travaux additionnels, notamment de raccordement et de pose de la fibre. Ainsi, l’installation des caméras obéit à des temporalités extrêmement disparates, allant de quelques mois à parfois cinq ans, quand elle n’est pas abandonnée du fait de complications matérielles ou financières. La question de l’installation peut ressurgir au gré de nouveaux incidents, ou au moment des élections durant lesquelles elle constitue un fort objet de débat. Il n’est pas rare que quelques mois avant le scrutin les projets se concrétisent, éveillant la suspicion de l’opposition. Pour une élue de Carnac (Morbihan, 4236 hab.), il était « tout de même surprenant qu'après un budget d'investissement de l'ordre de 7 millions d'euros annoncés pour 2013 en grande partie non réalisés, on s'empresse, à quelques semaines des élections municipales de réaliser ces travaux dont l'enveloppe est estimée à 160 000 € ».

 

La lecture de la presse locale témoigne donc de dynamiques largement partagées entre les communes qui s’équipent en caméras, tant du point de vue des acteurs que des étapes du processus. Si cette approche a notamment confirmé la centralité de la question du coût des dispositifs dans les débats, elle ne permet que d’entrevoir l’architecture complexe des schémas de financement des caméras. 

 


Illustration - CGP Grey - CC BY 2.0


Article rédigé par Antoine Courmont et Jeanne Saliou