Etat, régions, départements : des incitations financières multiples à la vidéosurveillance

Rédigé par Antoine Courmont et Jeanne Saliou

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19 novembre 2021


Alors que les investissements financiers nécessaires au déploiement de la vidéosurveillance sont importants, Etat, régions, départements et intercommunalités ont mis en place des dispositifs de subventions. Alors que les budgets communaux sont contraints, ces aides sont un facteur de poids à l’installation.   

Le coût de la vidéosurveillance est un facteur central de la réticence de certaines communes à s’équiper en caméras. Pour y remédier, comme nous le mentionnions précédemment (cf Article 1), l’essor des caméras de vidéosurveillance en France s’appuie sur un système avantageux de subventions, par le biais du Fond interministériel de prévention de la délinquance (FIPD). Suite à la réorientation de ce fond national, d’autres acteurs ont pris le relais à différentes échelles, démultipliant les sources potentielles de financement pour les communes et participant donc de la réduction de la part de budget à couvrir. Les incitations financières restent telles que les villes n’ont bien souvent plus que 20 à 40% du budget d’installation à couvrir. Il leur reste toutefois ensuite les frais de fonctionnement et de maintenance.

 

FIPD, DETR, réserve parlementaire : des fonds nationaux divers à disposition des communes rurales

Le Fond interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) a longtemps constitué la source première de financement public des projets d’installation, hors budget municipal des mairies. Créé en mars 2007 pour donner les moyens aux maires de piloter les politiques locales de sécurité, ce fonds avait été mobilisé suite à l’élection de Nicolas Sarkozy pour encourager le développement de la vidéosurveillance. A partir de 2008, celle-ci devient même la priorité du FIPD afin de remplir l’objectif chiffré d’un triplement des caméras de voie publique en deux ans. Les collectivités territoriales peuvent obtenir jusqu’à 50% de financement de leurs projets d’installation et 100% du raccordement de leur réseau de vidéosurveillance aux centres de police ou de gendarmerie. Cette participation, ne couvrant donc ni la maintenance, ni les coûts d’utilisation, s’inspire directement, de la stratégie du Home Office britannique développée dans les années 1990. Elle porta ses fruits puisqu’en février 2014, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, 2820 communes et 173 établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) avaient été accompagnés pour installer 26 614 caméras, pour un montant total de 148,52 millions d’euros de subventions.

 

 

Le coût des dispositifs

Le rapport de la Cour des Comptes, publié en 2020, illustre les difficultés pour estimer le coût total d’un dispositif de vidéoprotection, qui comprend l’installation, la maintenance et l’exploitation du système. Celui-ci peut varier énormément selon le matériel installé, le nombre de caméras, les spécificités de l’espace public sur lequel elles sont installées, le type de réseau de transmission, la présence ou non d’un Centre de Supervision Urbain (CSU), etc. Les coûts mentionnés dans les articles de presse que le LINC a étudiés se concentrent souvent essentiellement sur la phase d’installation, sans toujours inclure les coûts de maintenance. On remarque également une disparité très forte du coût par caméra d’une commune à l’autre.

Dans ses rapports annuels, le Comité Interministériel de Prévention de la Délinquance et de la Radicalisation (CIPDR), qui est en charge de la gestion du FIPD, constate une baisse progressive du coût moyen d’installation par caméra. En 2014, il s’élevait à 10945€ en zone police (contre 13810€ en 2013) et 7104€ en zone gendarmerie (contre 8646€ en 2013).

Les dépenses d’infrastructure nécessaire à la transmission des images représentant une part importante des investissements à l’installation de la vidéosurveillance. Le coût de l’installation des dispositifs est parfois mutualisé avec des travaux de rénovation de l’éclairage public ou des réseaux de télécommunications communaux.

 

Néanmoins, le passage à un gouvernement socialiste fut concomitant d’un changement de priorités. Le soutien financier se poursuit mais la vidéosurveillance n’est plus la cible principale. Alors qu’elle représentait 58% du financement du FIPD sur la période 2010-2012, à partir de 2013, elle correspond à environ un tiers des dépenses du fonds. En 2019, 10,7 millions d’euros d’aides à l’installation de caméras de vidéoprotection ont été attribués au titre du FIPD alors que ce montant s’élevait à près de 30 millions en 2010. A cela s’ajoute la priorisation de certaines zones, les Zones de Sécurité Prioritaire (ZSP), « quartiers touchés par la dégradation de l’ordre et de la tranquillité publics ». Cette réorientation a pour effet de réduire progressivement le montant pour les communes, en particulier les communes rurales.  En effet, les ZSP sont majoritairement situées dans des territoires très urbanisés : sur les 80 identifiées depuis 2013, 53 relèvent de la compétence exclusive de la police nationale, auxquelles s’ajoutent les neuf relevant de celle de la préfecture de police de Paris.

Ces changements se ressentent dans les mairies. Plusieurs maires déplorent, à l’instar de celui de Zutkerque (Pas-de-Calais, 1733 hab.), qu’il « commence à être difficile de décrocher les aides » à l’installation des caméras.  

Néanmoins, d’autres sources de financement compensent cette diminution de la part du FIPD dans les plans de financement des projets de vidéoprotection. A l’échelle nationale, la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) constitue un autre dispositif de financement de la vidéosurveillance pour les communes rurales. Destinée aux communes de moins de 2000 habitants, elle peut financer jusqu’à 30 à 40% du projet en l’absence de subvention accordée par le FIPD. Enfin, quelques députés et sénateurs puisent dans leur réserve parlementaire pour aider au déploiement de caméras sur certaines communes de leur circonscription.

 

Une politique incitative par les collectivités locales 

Parallèlement à ces fonds nationaux, les intercommunalités, les départements et les régions ont développé également des programmes de subvention et d’accompagnement, et ce, même quand la sécurité n’est pas une de leurs compétences.

Les établissements intercommunaux

Certains établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) se positionnent également sur ce sujet sécuritaire : le droit leur permet de mutualiser les dispositifs de vidéosurveillance. Cette mutualisation prend la forme de centres communs de supervision urbaine (CSU) et/ou de groupements d’achats de caméras permettant aux communes de payer moins. La Métropole européenne de Lille (MEL), qui dispose d’un conseiller chargé de la vidéoprotection, s’est doté d’un marché public (attribué à l’entreprise Eiffage) de mutualisation de l’achat et de la maintenance de systèmes de vidéosurveillance. L’objectif est double : harmoniser le matériel entre les communes et faire baisser le coût pour chacune d’entre elles. 44 communes (en 2017), puis 59 (en 2018) rejoignent le groupement d’achat. Par ailleurs, depuis 2017, la MEL a mis en place un fonds doté de 500 000 euros par an pour soutenir financièrement les communes souhaitant s’équiper ou étendre leur installation. 12 communes en ont bénéficié en 2018, 16 en 2019. Enfin, la métropole ambitionne de créer un centre de supervision urbain (CSU) rassemblant les images des communes équipées. Ce projet est toutefois difficile à mettre en place techniquement compte tenu de l’hétérogénéité du matériel dans les différentes communes.  Cette politique incitative porte ses fruits : sur les 95 communes de la métropole européenne de Lille, moins de 20% d’entre elles ne sont pas, en 2020, équipées en caméras selon les chiffres de Médiacités.

Les départements

Dans notre étude, les conseils départementaux jouent un rôle marginal dans le développement de la vidéosurveillance dans les communes. D’après nos recherches, en juillet 2020, seuls douze conseils généraux proposent des aides à l’installation de caméras pour les communes de leur territoire. L’enveloppe allouée ainsi que les critères d’attribution varient d’un département à l’autre. Ces aides mises en place à partir de 2015 concernent essentiellement l’installation d’équipement de vidéoprotection, mais certains départements comme la Drôme se focalisent sur les abords des collèges et exigent que les communes soient équipées ou raccordées à un CSU. Le montant total des subventions est également variable : le département des Bouches-du-Rhône indique avoir subventionnés à hauteur de 19,4 millions d’euros les municipalités via l’aide aux communes, tandis que celui de l’Oise a investi 5,6 millions d’euros entre 2015 et 2020 dans ces aides.

Dans un rapport de l’Institut Paris Région de 2018 (p. 27), Virginie Malochet remarquait que, suite aux attentats de 2015, le conseil départemental des Yvelines, portait un « plan de vidéoprotection intelligent » dans le cadre de sa politique d’aménagement numérique du territoire. Si ce programme vise initialement l’homogénéisation de l’équipement en vidéosurveillance des collèges et des casernes du SDIS (Service départemental d’incendie et de secours), la plateforme départementale – qui s’appuie sur le réseau de fibre optique des Yvelines pour centraliser la remontée des images des caméras départementales – est ouverte aux villes et aux intercommunalités qui souhaitent s’équiper. Selon l’Agence Seine et Yvelines Numérique, 250 sites sont équipés pour un total de 3000 caméras avec détection automatique d’incident.

 

 

La vidéoprotection : un nouveau marché pour des syndicats intercommunaux

Dans la Somme, la Fédération départementale de l’énergie (FDE 80), le syndicat intercommunal, qui assure des compétences relatives aux réseaux énergétiques (électricité, gaz, éclairage public) pour ses 762 communes adhérentes, propose aux communes qui le souhaitent, par transfert de compétence, de réaliser des études relatives aux dispositifs de vidéoprotection, l’acquisition, la réalisation et la maintenance des dispositifs de vidéoprotection. Les communes de Thésy-Glimont (Somme, 584 hab.), Dargnies (Somme, 1300 hab.) ou de Mers-les-Bains (Somme, 2840 hab.) ont par exemple confié cette compétence vidéoprotection à la FDE80. Pour l’établissement public, la vidéoprotection est ainsi un marché complémentaire à ses activités traditionnelles.

En février 2021, le conseil départemental de la Somme signe une convention avec la FDE80 pour accompagner les communes souhaitant s’équiper. Le syndicat instruit les dossiers et réalise les opérations pour les communes adhérentes, tandis que le département participe à leur financement à hauteur de 40% du montant total dans la limite de 50 000 euros. Ces aides ont incité de nombreuses communes à s’équiper. Fin avril 2021, 17 dossiers avaient déjà été déposés auprès du Département, à l’instar de la commune d’Estrébœuf (Somme, 274 hab., 13 caméras).

Cet accord entre le syndicat et le département est dénoncé par des entreprises de vidéoprotection qui s’estiment victime de concurrence déloyale. L’entreprise Systeo considère être mise à l’écart de ce marché. D’une part, elle loue ses équipements de vidéoprotections alors que les subventions sont dédiées à l’achat de matériel. D’autre part, la FDE délègue ces contrats aux prestataires des entreprises avec lesquelles elle a passé des marchés publics d’éclairage. Enfin, la FDE80 ajoute une subvention de 20% qui incite les communes a lui délégué la compétence vidéoprotection. 

 

 

Le cas de l’Oise

En 2015, le conseil général de l’Oise, dont 95% des communes compte moins de 3500 habitants, a lancé le plan Oise-Vidéoprotection pour aider les petites communes à se doter en équipements de vidéosurveillance. 30 à 40% des dépenses à l’installation des municipalités sont couvertes par le département. Selon le rapport d’activité 2019 du Département, cette année-là, 698 caméras ont été subventionnées pour un montant total de 1,675 million d’euros. Au total, entre 2015 et 2020, au titre de l’aide aux communes, 1877 caméras en faveur 155 communes ont été subventionnées par le conseil départemental. Selon le département, 58 % des collectivités subventionnées sont des villages de moins de 1500 habitants.

En 2018, le conseil départemental confie au Syndicat Mixte Oise Très Haut Débit la compétence de vidéoprotection. L’objectif est de doter le département d’un centre de supervision, rassemblant via le réseau de fibre optique, les images des communes du territoire (outres les images des caméras départementales placées dans les collèges ou bâtiments administratifs départementaux). Le centre doit permettre de donner un accès en temps réel aux images aux forces de l’ordre et de faciliter le travail d’enquête à partir des images enregistrées. L’objectif est de permettre aux communes rurales de « se battre à armes égales avec les grandes villes face à la délinquance ». Dans ce centre, situé à Beauvais, une équipe de huit opérateurs se relaie 24h/24, 7 jours sur 7 pour visionner les images provenant des communes. La mise en place de ce service mutualisé a été rendu possible suite à la loi dite Sécurité globale, qui permet aux maires de transférer leur pouvoir de police afin de permettre aux opérateurs départementaux de visionner les images. En mai 2021, le centre de supervision départemental de l’Oise recevait déjà les images des dix premières communes adhérentes.

Les régions

Enfin, certaines régions, qui n’ont pourtant pas de prérogatives en matière de sécurité (en dehors de la sécurisation des lycées et des transports en commun), mettent en œuvre des politiques sécuritaires et allouent des subventions aux polices municipales. En 2017, suite à l’attentat du 14 juillet 2016, la région PACA, présidée par Christian Estrosi, avait délibéré afin de mettre en en place un dispositif d’aides annuels de 10 millions d’euros à destination des polices municipales, et notamment de l’équipement en vidéosurveillance. Ce « plan de sécurité intérieure » a été annulé par le tribunal administratif de Marseille en décembre 2019. Toutefois, les régions Ile-de-France, Auvergne-Rhône Alpes et, plus récemment Pays de la Loire, ont mis en place des « bouclier sécurité », subventionnant l’achat de caméras de vidéosurveillance, les centres de supervision urbain et d’équipements pour les polices municipales. Par exemple, en 2016/2017, 127 communes ou EPCI ont reçu des subventions de la région Ile-de-France pour un montant total de près de 10 millions d’euros pour l’installation ou le renouvellement de leur équipement de vidéosurveillance (p. 29). La région Auvergne-Rhône-Alpes accorde une subvention jusqu’à 30 000 euros par an aux communes installant de la vidéosurveillance.

 

20 à 40% du coût d’installation à la charge du budget communal

Ces différentes subventions font sensiblement baisser la note pour les petites communes. Par exemple, selon une délibération du conseil régional d’Ile-de-France (p. 15), Nointel (Val d’Oise, 798 hab.) a pour projet d’installer sept caméras sur son territoire en 2020 pour un montant total de 105 156 euros. La municipalité sollicite des financements auprès de la Région Ile-de-France (35%), du département (6%) et du fonds de dotation d’équipement des territoires ruraux (25%). Il ne restera à sa charge qu’environ un tiers du montant total, soit un peu moins de 36 000 euros. Ainsi, ces subventions sont un facteur de poids pour faciliter l’installation de la vidéosurveillance dans les petites communes françaises. 

 

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Alors que le coût de la vidéosurveillance peut être prohibitif pour des petites communes (lien article 2), ces dispositifs de subventionnement à l’installation de caméras de vidéosurveillance participent indéniablement à leur développement sur les territoires. Ils œuvrent également à la structuration et à l’essor du marché des technologies de sécurité et bénéficient aux industriels. De fait, une fois les premières installations réalisées, les communes tendent à étendre leur parc de caméras et à s’équiper en technologies toujours plus performantes.

 

 


Illustration - bungski - CC BY-ND 2.0


Article rédigé par Antoine Courmont et Jeanne Saliou