Quand le ciblage permet d’influencer ses proches

Rédigé par Régis Chatellier

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19 mars 2019


Influencer voire manipuler ses proches en leur envoyant des publicités ciblées, c’est ce que propose une startup à ses clients.

Dans un article publié le 15 février 2019 sur le Figaro, on apprend qu’une startup propose à ses clients d'influencer, voire de manipuler des proches, par exemple leur conjoint, des amis ou des collègues, en agissant directement sur la nature des publicités et articles recommandés auxquels ils sont soumis.


L’extension du domaine de la publicité ciblée 



Le site Daily Dot explique comment The Spinner, une entreprise basée à Londres, Bangalore et Tel Aviv, propose à ses clients de cibler la personne de leur choix pour leur faire passer des messages plus ou moins subliminaux, moyennant la somme de 29 dollars. Parmi les programmes proposés : inciter à avoir plus de relations sexuelles, à démissionner, voire à acheter un chien… Le package de base proposé consiste en une série de dix articles (par but recherché) présentés 180 fois sur une période de trois mois. Des articles choisis « par un groupe de psychologues afin d’influencer la cible au niveau de son subconscient », précisent les FAQ


Pour parvenir à ses fins, The Spinner adresse un lien anodin par message privé. Quand la cible ouvre le lien, un cookie est posé sur le téléphone de la personne qui aura pour effet de proposer l’affichage des messages et d’articles ciblées (dans les espaces dédiés au « native advertising », à la manière des articles recommandés sur les sites d’infos). Le service se positionne alors en concurrence avec des régies comme Outbrain, Revcontent, Taboola ou Adblade, qui déposent des cookies de manière plus traditionnelle (à l’ouverture d’un site par exemple, associé à un bandeau d’information préalable) afin de procéder à du reciblage publicitaire (« retargeting »). Les entreprises plus conventionnelles fonctionnent par un système d’enchères en temps réel pour déterminer qui pourra afficher le contenu sponsorisé (suivant le niveau de pertinence estimé). On peut imaginer que les enchères proposées par The Spinner sont légèrement au-dessus des prix du marché pour assurer l’affichage chez la personne ciblée. Depuis Octobre 2018, The Spinner propose également l’affichage de ces messages ciblés sur les espaces publicitaires détenus et gérés par Facebook et Instagram.



Nous ne sommes plus là dans le profilage marketing classique, basé sur la segmentation de marché,  mais bien dans le ciblage direct d’une personne en particulier. Ce qui n’émeut pas le créateur du service, Elliot Shefler, pour qui « la vente d’espaces est le modèle d’affaires de presque tous les journaux, sites d’infos, et chaines de télévisions […] qui les utilisent pour modifier les comportements et vous influencer à acheter des produits ». Il ajoute que « les marques et les politiciens le font déjà depuis des années, nous ne faisons que le permettre à des individus plus communs ». 
 


Quels enjeux éthiques ? 



S’il pose clairement des questions éthiques quant à la capacité désormais donnée à des individus d’influencer les comportements de leurs proches, il n’en utilise pas moins des techniques répandues de profilage sur internet. Le service proposé reviendrait donc à hacker la bulle de filtre (Eli Pariser) dans laquelle nous naviguons tous lorsque nous sommes tracés sur internet. Ce type de pratique, s’il est utilisé à des fins malveillantes, porte au mieux le risque de la manipulation des personnes ciblées (clairement indiquée parmi les objectifs de l’entreprise), elle peut si l’on va plus loin entrainer le risque d’une forme de commercialisation du cyber-harcèlement, dès lors que les messages deviendraient de moins en moins subliminaux et de plus en plus oppressants pour les individus. Le site précise d’ailleurs que des offres sur-mesure pourraient être proposées. On pense notamment à des messages qui chercheraient à vous faire démissionner, comparables à autant de petites remarques que pourraient faire des collègues ou supérieurs hiérarchiques sur le lieu de travail. 



Le site annonce dans ses conditions d’utilisation que les citoyens européens ne sont « pas autorisés » à utiliser le service, de même que des non européens ne peuvent cibler des européens (Citizens of the European Union or the United Kingdom are not allowed to use the service. Users from any other region are not allowed to send the "targeting link" to citizens of the European Union or the United Kingdom). L’utilisation de tels messages piégés entre en effet en contradiction complète avec le principe de transparence, tout comme les notions de consentement et le respect des droits des individus. La personne ciblée n’est ni informée, ni ne consent au dépôt d’un type très spécifique de cookie, dont l’objet n’est pas la publicité ou le native advertising, mais la participation non consciente à un test visant à l’influencer. Comme indiqué sur le site de la CNIL, les cookies liés aux opérations relatives à la publicité ciblée nécessitent une information préalable et une demande de consentement, tant que la personne n'a pas donné son consentement, ces cookies ne peuvent être déposés ou lus sur son terminal. De plus, le consentement doit être requis à chaque fois qu'une nouvelle finalité vient s'ajouter aux finalités initialement prévues. Sans information ni consentement, les personnes ciblées sont dans l’incapacité de faire valoir leurs droits. 



Quand un Cambridge Analytica cherchait à influer à niveau macro sur les élections étasuniennes, The Spinner vise une influence  à niveau micro, mais les logiques sous-jacentes restent les mêmes. En cela, il porte en lui des risques qui vont au-delà des seules questions de conformité, et doit faire l’objet d’une vigilance toute particulière. 

 



Article rédigé par Régis Chatellier , Chargé des études prospectives