A distance (1/3) - Le confinement a-t-il fait évoluer la sensibilité des individus à la protection des données ?

Rédigé par Antoine Courmont

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17 juin 2021


Au cours des épisodes de confinement, le recours aux services à distance pour travailler, apprendre, se soigner, se divertir ou acheter s'est considérablement accru. Dans quelle mesure ces nouveaux usages sont-ils venus bousculer les frontières habituelles entre les différentes sphères sociales, privée et familiale, scolaire ou professionnelle ? L’entrée du monde extérieur dans le foyer, par l’entremise de l’écran, a-t-elle soulevé des questionnements quant à la protection des données personnelles ?

 

Le 17 mars 2020, la population française connaissait un événement inédit avec les mesures de confinement et de distanciation. Celles-ci ont fait évoluer massivement les pratiques numériques. Selon les enquêtes de Médiamétrie, le temps passé sur Internet a cru de plus de 36% durant la seconde quinzaine de mars 2020 par rapport à l’année précédente. D’une part, l’utilisation des services numériques habituels s’est intensifiée. Les réseaux sociaux ont été utilisés massivement pour garder le lien entre famille, amis et collègues ; les sites des médias ont connu des chiffres de fréquentation en forte hausse, tout comme les plateformes de streaming ou les sites de e-commerce et de livraisons de courses et de repas. D’autre part, des pratiques numériques minoritaires ont connu un développement important. Le télétravail est devenu, en l’espace de quelques semaines, la norme pour un nombre conséquent de salariés, en particulier pour les cadres et les professions intermédiaires. Les plateformes d’enseignement à distance ont également connu un succès important en raison de la fermeture des écoles et du plan de continuité pédagogique. Les commerces se sont massivement convertis au « click & collect ».

​Dans l’ensemble des sphères sociales, l’utilisation de services à distance s’est ainsi intensifiée. Cette évolution des pratiques numériques et les mesures envisagées de gestion de l’épidémie ont fait émerger des enjeux et des débats majeurs quant à la protection de la vie privée : les débats autour de l’application StopCovid, notamment, ont mis en évidence les craintes relatives à un dispositif de collecte des données personnelles, et ce même s’il poursuit un objectif de santé publique. Plus généralement, pour les salariés reclus à domicile du jour au lendemain, des solutions de communication ont été bricolées pour assurer une continuité dans les activités sociales, sans que les critères de protection des données aient toujours été au centre des choix. Comme le remarquait ironiquement un membre du comité de la prospective de la CNIL à propos du recours massif à certains services hébergés dans des serveurs localisés en Amérique du Nord : « du jour au lendemain, la population française a migré aux Etats-Unis ».

De même, dans nos expériences personnelles, si les mesures de confinement nous ont contraint aux relations à distance et à se priver de la présence physique des autres, paradoxalement, elles ont conduit des personnes à pénétrer dans nos foyers par l’intermédiaire des écrans. Par le télétravail, le télé-enseignement, la téléconsultation ou encore les télé-apéros, des collègues, des professeurs, des médecins, des amis sont entrés dans nos salons. Le confinement a interrogé nos enveloppes personnelles que l’on a dû réinventer. Nous sommes ainsi nombreux à avoir été protagonistes ou témoins d’accidents de visioconférence, des « zoomfails », où notre espace intime a fait irruption dans notre sphère professionnelle.

 

Un changement dans les pratiques de protection des données ?

Ainsi, alors que le foyer s’est construit historiquement comme un espace majeur de l’intimité, cet essor, à la fois rapide et massif, des pratiques numériques fait émerger un certain nombre de questionnements en matière de protection des données et de la vie privée. Comment la période du confinement et l’intrusion du monde extérieur dans le foyer par l’entremise de l’écran, pour des raisons professionnelles et scolaires notamment, a configuré et/ou reconfiguré le rapport des individus à leur intimité et à la vie privée ? Comment cette plus grande porosité des différentes sphères sociales a-t-elle été vécue ? A-t-elle engendré des questionnements, des tensions, des ajustements, voire des stratégies adaptatives pour y faire face et limiter le mélange des sphères et des registres ? Dans quelle mesure ces nouvelles configurations ont-elles nourri des questionnements et réflexions quant à la protection des données numériques individuelles ? Observe-t-on une hausse de la sensibilité à cette question de la protection des données en lien avec la période de confinement ? L’intensification et la diversification des usages se traduisent-elles par une plus grande conscience de la nécessité de protéger les données personnelles ?

Pour repérer et comprendre ces évolutions, le Laboratoire d’innovation numérique de la CNIL (LINC) a lancé l’automne dernier une enquête exploratoire s’appuyant sur des méthodes quantitatives et qualitatives. En septembre 2020, un sondage auprès d’un échantillon représentatif de la population française a été conduit pour la CNIL par l’Ifop. Parallèlement, une enquête qualitative exploratoire a été menée, afin de recueillir et analyser l’évolution des perceptions et des pratiques numériques liées à la crise sanitaire, sous le prisme de la protection de la vie privée. Le cabinet Asdo Etudes a réalisé 25 entretiens semi-directifs approfondis, auprès de 15 femmes et 10 hommes, ayant des enfants à charge et occupant un emploi. Ce travail exploratoire fournit des pistes de réflexion sur l’évolution des pratiques numériques depuis un an et ses effets sur la sensibilité à la protection de la vie privée et des données personnelles.

Faisant écho aux conclusions du dernier cahier IP, les résultats de ces enquêtes quantitatives et qualitatives mettent en évidence que les pratiques numériques à distance se sont fortement développées dans une logique pragmatique en l’absence d’alternatives. Ces pratiques ont toutefois été ressenties très différemment selon les usages numériques antérieurs des individus, mais également en fonction des cercles sociaux auxquels ils appartiennent. L’intensification des usages numériques n’a toutefois que rarement été perçue comme intrusive par les individus, qui n’ont pas fait évoluer sensiblement leurs pratiques en matière de protection de la vie privée et des données personnelles.

 

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Image d'illustration : CC-BY-NC crises_crs


Article rédigé par Antoine Courmont , Chargé d’études prospectives