A distance (2/3) - L’évolution des pratiques numériques pendant le confinement : un essor des téléservices, une logique pragmatique
Rédigé par Antoine Courmont
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17 juin 2021Les études et sondages menés suite au confinement mettent en évidence le développement exponentiel des pratiques numériques et la progression de nouveaux usages. Si cette transformation de l’utilisation des outils numériques est indéniable, l’enquête que nous avons menée illustre des situations très contrastées, révélant des niveaux d’acculturation et de fréquence d’utilisation des outils numériques très variés d’un enquêté à l’autre. Si certains utilisent quotidiennement et de façon intensive leur smartphone, tablette et/ou ordinateur pour des usages professionnels et personnels, d’autres ont une utilisation beaucoup plus limitée des outils numériques, délimités à des usages bien précis et ponctuels.
[série] A distance
- Article 1 : Introduction - Le confinement a-t-il fait évoluer la sensibilité des individus à la protection des données ?
- Article 2 : L’évolution des pratiques numériques pendant le confinement : un essor des téléservices, une logique pragmatique
- Article 3 : Une fenêtre sur l’extérieur, une lucarne sur l’intérieur : des stratégies de protection de son intimité
Quatre grands profils d’usages numériques
Avant d’examiner les évolutions des pratiques et des usages des outils numériques pendant la période de confinement, il convient de se pencher au préalable sur les habitudes qu’avaient les enquêtés en la matière avant cette période. Les situations sont très contrastées de ce point de vue, révélant des niveaux d’acculturation et de fréquence d’utilisation des outils numériques très variés d’un enquêté à l’autre. Schématiquement, il est possible d’esquisser quatre grandes « catégories » d’usagers, à partir de deux facteurs principaux : d’une part, le niveau d’intensité ou de fréquence d’utilisation des outils numériques ; d’autre part, la plus ou moins grande multiplicité des types d’usages qui en sont faits (usage professionnel, récréatif, utilitaire ou pratique, informatif, communicationnel…).
La première catégorie, que l’on peut qualifier d’usagers « ultra-connectés », est composée de personnes très équipées sur le plan informatique, qui cumulent bien souvent différents outils au sein du foyer, avec des usages bien définis (outils familiaux, outils personnels, outils professionnels). Ils ont une utilisation intense du numérique, à la fois en termes de temps passé et en termes de diversité d’usages : ils s’en servent à la fois quotidiennement pour des raisons professionnelles, y ont recours très régulièrement pour accéder à un certain nombre de biens et services de façon dématérialisée (achats en ligne, prise de rendez-vous médicale, démarches administratives…) dans le cadre de leurs loisirs (consommation de produits audiovisuels), pour s’informer ou encore pour communiquer avec leurs proches ou d’autres cercles de sociabilité (usage intense de WhatsApp, des réseaux sociaux…). Ils ont une bonne maîtrise technique des outils, passent d’un usage à l’autre sans difficulté, tout en revendiquant un certain « contrôle » de ces différents usages.
Le second grand profil d’usager, que l’on peut nommer « récréatif », compte des personnes qui utilisent également très fréquemment les outils numériques (plusieurs heures au quotidien), surtout dans le cadre de leurs loisirs et de leur temps personnel. Certains d’entre eux usent également du numérique dans un cadre professionnel, mais cela n’est pas le cas de tous. Ces enquêtés utilisent surtout pour cela leur smartphone, voire une tablette (beaucoup moins d’ordinateur). Ils se sentent à l’aise avec l’utilisation des outils numériques, qu’ils manient au quotidien : ils ont le réflexe de s’en servir à la fois pour des raisons pratiques (démarches administratives, consultation du compte bancaire, etc.) et (pour l’essentiel) pour des activités ludiques et récréatives : réseaux sociaux et communication avec leurs proches, recherches d’information (journaux en ligne, mais également recherche d’information sur des sujets plus spécialisés, des centres d’intérêt/passions), achats en ligne, consommation de produits audiovisuels, jeux en ligne...
La troisième catégorie comprend les usagers « fonctionnels ». Ces enquêtés utilisent nettement moins les outils numériques au quotidien que les deux types précédents et se décrivent comme des utilisateurs « modérés » du numérique. Leur utilisation des outils numériques renvoie pour l’essentiel à des usages d’ordre utilitaire : consultation des comptes bancaires, démarches administratives, achat de billets de train, utilisation du GPS sur le téléphone… Certains d’entre eux sont inscrits sur certains réseaux sociaux (souvent Facebook), mais n’en ont qu’une utilisation très limitée (voire nourrissent de façon générale, une certaine méfiance vis-à-vis des réseaux sociaux)
Enfin, la dernière catégorie identifiée regroupe des usagers qu’on peut qualifier de « réfractaires » au numérique. Il s’agit d’enquêtés qui utilisent très peu d’outils numériques au quotidien, qui s’en servent très peu pour réaliser des tâches quotidiennes, dans le cadre des loisirs ou pour des raisons pratiques, ou pour entretenir leurs relations sociales. Ils utilisent le « strict minimum », souvent parce qu’ils n’ont pas vraiment le choix (soit dans un cadre professionnel, soit dans le cadre de la scolarité des enfants, ou pour certaines démarches administratives). Ils expriment pour la plupart des appréhensions vis-à-vis du numérique, en lien avec un sentiment de faible compétence dans la maîtrise de ces outils. Si cette distance vis-à-vis des outils numériques tient donc chez la plupart d’entre eux à des éléments « matériels » – faible acculturation aux outils, peu d’aisance dans leur utilisation –, elle est également nourrie par un sentiment de méfiance: sentiment que l’usage de ces outils ne peut pas remplacer « le réel » et les relations sociales ; refus de temps d’expositions aux écrans trop important ; craintes quant à l’utilisation des données personnelles… Ces enquêtés se positionnent en rejet – plus ou moins frontal – de la norme du « tous connectés » et des injonctions au recours aux technologies numériques, et revendiquent un droit à l’alternative.
Ces différents « profils-types » en termes d’usages du numérique sont à mettre en lien avec différents facteurs, qui semblent avoir une incidence sur le niveau d’acculturation aux outils numériques et à la formation de ces usages différenciés. En premier lieu, le niveau de diplôme et la catégorie socioprofessionnelle, variables mises en évidence dans les travaux cités précédemment, semblent bien discriminants dans le panel : les cadres supérieurs, artisans, commerçants et chefs d’entreprise ont en tendance une fréquence d’utilisation plus soutenue du numérique, et en ont des usages plus diversifiés ; la plupart des enquêtés du panel appartenant à ces catégories socioprofessionnelles peuvent ainsi être qualifiés d’ « hyper connectés », tandis que les enquêtés les moins diplômés se retrouvent davantage dans la catégorie des « réfractaires » ou des « fonctionnels ». Pour autant, il ne s’agit pas de la seule variable en jeu. Parmi les enquêtés, il semble notamment que les espaces d’apprentissage et de « socialisation au numérique » - dans l’environnement familial, dans l’univers scolaire/universitaire ou, plus tard, dans le cadre professionnel – aient également un rôle fort dans les usages des enquêtés. De ce fait, la variable de l’âge est difficile à isoler : alors que certains enquêtés, parmi les plus âgés (autour de 45-50 ans) ont pu développer par le biais de leur parcours professionnel de nombreuses compétences numériques, d’autres, plus jeunes, ayant grandi dans un univers familial peu coutumier de ces usages et n’en ayant pas acquis dans le cadre professionnel, peuvent rester très éloigné de cet univers, malgré leur plus jeune âge.
Un accroissement et/ou une diversification des usages du numérique systématique pendant le confinement, malgré des configurations très hétérogènes
Le sondage mené par l’institut IFOP pour la CNIL, en septembre 2020, permet de dessiner des tendances globales concernant le recours aux outils numériques pendant la période de confinement. Ainsi, plus de la moitié de la population déclare avoir fait usage « souvent » ou « de temps en temps » d’outils numériques dans le domaine de la santé, de la médecine (en particulier, les CSP+ et les personnes avec enfants au foyer) ; cela a concerné 41% des Français dans le cadre de leur activité professionnelle (en particulier chez les cadres, qui sont concernés à hauteur de 90%), et 38% dans le domaine de l’éducation (en particulier les 18-24 ans – 75% - et les parents d’enfants – 81%).
Si ces chiffres font état d’une intensification des pratiques numériques, ils masquent l’hétérogénéité des situations et la variété des configurations expérimentées par les individus. Or, ces configurations ont eu une incidence importante sur les évolutions en termes de pratiques numériques. L’enquête de l’Ined, menée lors du premier confinement, met en évidence les disparités et les inégalités des conditions de vie des ménages pendant le confinement (à la fin avril). Ainsi, sans surprise, les conditions d’exercice de l’activité professionnelle sont très corrélées au milieu social et à la catégorie professionnelle d’appartenance. Parmi les cadres, 67% ont poursuivi leurs activités professionnelles, dont deux tiers en télétravail. Les professions intermédiaires ont été plus nombreuses en proportion à continuer à travailler (70%) ; la moitié environ (52%) était en télétravail, tandis que l’autre moitié travaillait sur site. Les employés et les ouvriers ont été plus touchés par l’arrêt du travail que les cadres et professions intermédiaires (cela a concerné respectivement 53 % et 49 % d’entre eux) ; en revanche, pour ceux qui travaillaient, c’était presque toujours à l’extérieur du domicile (73 % des employés et 96 % des ouvriers en emploi pendant le confinement travaillent sur leur lieu de travail habituel). L’enquête souligne également les inégalités de sexe qui ont caractérisé cette période : d’une part, les femmes ont davantage été touchées par l’interruption de leur activité (55% des femmes ont continué de travailler, contre 61% des hommes) ; d’autre part, lorsqu’elles étaient en télétravail, elles l’ont été dans de moins bonnes conditions que les hommes (39 % d’entre elles partageaient leur espace de travail avec leurs enfants ou d’autres membres du ménage, contre 24 % des hommes).
Pour les salariés ayant poursuivi leur activité à distance, la nature de leurs tâches et l’expérience préalable du télétravail ont considérablement influencé leur expérience. Pour certains salariés, le télétravail à 100% n’a pas posé de difficultés particulières : soit parce qu’ils avaient déjà une certaine habitude du télétravail ou du travail à distance, soit parce que l’essentiel de leurs tâches étaient prévues pour être effectuées sur ordinateur, et n’ont donc pas nécessité un aménagement important des processus de travail. Pour d’autres, en revanche, le passage au « tout télétravail » a représenté une nouveauté totale, dans le cadre d’activités qui n’avaient pas du tout été initialement pensées pour être réalisées à distance. Selon la nature de ces activités, le degré d’autonomie des enquêtés dans leur travail, la latitude laissée par l’employeur, cette transposition s’est ainsi faite de façon plus ou moins sereine. Pour Stéphanie C. ou Patricia G., qui travaillent chacune dans une Mission locale (opérateur d’insertion professionnelle pour les jeunes de 16 à 25 ans), le télétravail leur a permis de réorganiser de façon assez libre les modalités d’accompagnement des jeunes, ce qu’elles ont l’une comme l’autre apprécié ; à l’inverse, dans le cas de Christophe P., comptable dans une caisse de retraite, les procédures habituelles n’étaient pas du tout adaptées à la dématérialisation, et ont supposé ajustements et réorganisations hâtifs (en réalité, peu adaptés et ayant entraîné une importante surcharge de travail pour les salariés).
Dans le cadre de l’enseignement à distance, l’adoption de nouvelles pratiques numériques s’est posée de façon quasiment systématique. Tous les enquêtés ont dû se saisir des outils numériques pour suivre la consigne de continuité pédagogique de leurs enfants. Beaucoup plus que dans le cadre du télétravail, où l’équipement informatique a dans la majorité des cas été fourni par l’employeur, les questions de matériel informatique ont pu poser des difficultés : certains foyers n’étaient pas suffisamment équipés pour assurer un accès de tous à un ordinateur. Au-delà de ces questions d’équipement, les usages du numérique dans le cadre de la scolarité à distance ont fortement varié en fonction de l’organisation mise en place par les enseignants et de la place qu’ils ont souhaité donner aux outils numériques. Le plus fréquemment, l’utilisation du numérique s’est faite « a minima » et a surtout été mobilisée comme un canal de transmission, pour l’envoi des devoirs, sans être investi en revanche comme un moyen de réelle communication ou d’échange avec les parents et les enfants. Ce manque d’interactions et d’échanges a souvent été regretté par les parents. Lorsque les enseignants n’ont pas été à l’initiative de la mise en place d’autres vecteurs de communication avec – et entre – les élèves, en mobilisant d’autres types d’outils (WhatsApp, Discord, Instagram…), certains parents expliquent avoir eux-mêmes pris ce type d’initiatives pour permettre à leurs enfants de converser avec leurs camarades. Par exemple, Aurélie P. a quant à elle pris l’initiative de créer un « Discord » pour que les élèves de la classe de son fils de 11 ans puissent échanger entre eux. Elle a invité l’enseignante qui a refusé, et qui a créé ensuite une classe en ligne. [La CNIL avait eu l’occasion de publier quelques conseils sur les outils de continuité pédagogique en avril 2020.] De manière générale, on observe une certaine convergence, chez les enquêtés, sur le rapport au numérique dans le cadre de l’enseignement à distance : celui-ci a été perçu comme une ressource sur de multiples aspects. Cette appréhension sous un jour positif des outils numériques est, dans le panel, constante chez la quasi-totalité des enquêtés, indépendamment de leur âge, de leur milieu socioculturel ou de leur niveau initial de pratiques numériques.
Au-delà des nouvelles pratiques dans le cadre du travail et de la scolarité à distance, la période de confinement a pu être synonyme d’autres expérimentations et nouveaux usages du numérique, dans une diversité de domaines. Cela a notamment été le cas de la téléconsultation médicale. Confidentielle avant le confinement, cette pratique a été utilisée par pragmatisme alors que les médecins généralistes ne pouvaient les recevoir. Par ailleurs, la plupart des enquêtés rencontrés expliquent avoir mis en place des visioconférences avec des amis ou des membres de la famille. Le sondage IFOP mené pour la CNIL met d’ailleurs en évidence l’étendue de ce phénomène : 58% des répondants à l’enquête déclarent avoir utilisé au moins une solution de visioconférence pour un usage personnel au cours de la période de confinement (en particulier, les jeunes, et les cadres qui sont 90% à avoir eu recours à ce type de solutions). Pour la plupart des enquêtés, cette utilisation de la visioconférence s’est faite de façon ponctuelle, pour pallier le manque d’interactions sociales, mais a été souvent perçue comme un pâle substitut aux rapports sociaux habituels et a pu se raréfier avec le temps. Une partie des enquêtés, en revanche, n’a pas opté pour ce type de solution : pour la plupart, il s’agit d’usagers que l’on peut qualifier de « fonctionnels » ou de « réfractaires » ; ils ont préféré les solutions traditionnelles (échanges téléphoniques, sms) pour maintenir les contacts avec leurs proches.
Cette évolution des usages du numérique dans un cadre récréatif a, enfin, souvent été importante du côté des enfants : visionnage de films ou dessins animés, pratique des jeux vidéo, accès à certaines plateformes/réseaux sociaux pour maintenir un lien avec camarades de classe. La plupart des enquêtés y ont en effet fait référence pendant les entretiens, soulignant que la période de confinement s’était souvent accompagnée d’un certain « relâchement » des règles et contraintes mises en place habituellement pour réguler le temps d’exposition des enfants aux écrans. Le temps passé sur les outils numériques s’en est souvent trouvé accru et a été plus ou moins « contrôlé » par les parents ; beaucoup expriment d’ailleurs, a posteriori, des appréhensions quant au risque « d’accoutumance » et font part de leur difficulté de revenir en arrière face à de nouvelles habitudes solidement installées.
Une logique pragmatique dans le choix des outils
Au-delà de l’évolution des pratiques numériques, si l’on s’intéresse plus spécifiquement au choix des outils mobilisés, on remarque que ceux-ci ont été largement contraints par l’employeur, l’enseignant ou les proches. Quand ce n’était pas le cas, une logique pragmatique a prédominé : un outil gratuit, facile d’usage, déjà utilisé par une grande partie des pairs. La protection des données a rarement été un argument (sur ce point, la CNIL a publié une série de recommandations et de bonnes pratiques relatives au télétravail) confirmant l’importance de traitements respectueux de la législation par défaut, y compris lorsqu’ils sont gratuits.
Dans le cadre professionnel, certains, en l’absence de « consigne officielle », ont toutefois pu prendre l’initiative. Cela a par exemple été le cas de Patricia G., qui pour poursuivre son activité d’accompagnement à l’insertion professionnelle de jeunes qu’elle suit dans une Mission locale, a décidé d’utiliser Facebook – plateforme à laquelle les jeunes en question étaient accoutumés – pour organiser la poursuite de son accompagnement. Elle leur a d’ailleurs rapidement demandé de se créer des comptes spécifiques dans le cadre de cet accompagnement, pour éviter que leur activité soit visible de leurs « amis » et limiter le « mélange des genres ». De son côté, Clarisse H., qui travaille dans une petite entreprise d’études et enquête marketing, a créé avec l’aide d’une collègue un « drive », car le serveur de l’entreprise n’était pas fonctionnel.
Enfin, autre élément intéressant à noter, l’usage des outils recommandés par l’employeur s’est souvent doublé de la création de groupes plus « informels », réunissant l’équipe de travail resserrée, pour créer des espaces d’échanges distincts. Dans un grand nombre de cas, les enquêtés expliquent par exemple avoir mis en place ou participé à un groupe WhatsApp avec leurs collègues proches, pour établir un espace d’échanges plus informels, pour « souffler », plaisanter, échanger sur un registre plus personnel, et « dédramatiser » la situation de confinement : il s’agissait en définitive de recréer à partir d’outils numériques des temps ou espaces plus informels habituellement présents dans le quotidien de travail.
Des pratiques durables ?
En définitive, l’évolution des pratiques numériques a donc pu prendre des formes très variables dans l’échantillon d’enquêtés, et se traduire soit par une évolution avant tout quantitative de l’utilisation du numérique (accroissement) soit par une évolution qualitative de ces usages (diversification, adoption de nouvelles pratiques numériques), soit par une évolution sur les deux plans. Le niveau initial d’utilisation du numérique semble avoir eu une incidence forte sur le type d’évolution repérable : dans le panel, les « ultra connectés » ont surtout intensifié leurs usages habituels, tandis que les enquêtés moins familiers des outils numériques ont plus fréquemment initié de nouvelles pratiques numériques. La configuration expérimentée pendant le confinement a néanmoins été tout aussi structurante : pour les enquêtés peu rompus au numérique, ce sont en particulier les situations de télétravail qui ont supposé une « conversion » rapide aux utilisations du numérique, ainsi que l’enseignement à distance. A l’inverse, certains enquêtés n’ont finalement que peu changé leurs habitudes numériques, lorsqu’ils n’étaient concernés par ni l’un, ni l’autre. Cela a par exemple été le cas de Sébastien K., charpentier, ou d’Éric P., technicien de maintenance dans une usine, qui ont tous les deux continué à travailler sur leur lieu de travail habituel et qui ont été peu impliqués dans le suivi de scolarité de leurs enfants. Ainsi, la place du numérique dans le quotidien des enquêtés a pu s’avérer plus ou moins importante pendant la période de confinement, et s’inscrire selon les cas en continuité ou en rupture avec les habitudes numériques préexistantes.
Difficile en tout cas de déterminer si ces pratiques seront durables. Si certaines entreprises ont d’ores et déjà fait le choix de faire du télétravail la norme, on remarque à l’inverse certaines pratiques ont disparu aussi rapidement qu’elles ont été mises en place à l’instar des « apéros Zoom ». De fait, plus d’un an après le début de la pandémie, pris à l’intérieur de cette machine numérique – « coincés dans Zoom » pour reprendre l’expression du journaliste Hubert Guillaud – sans réussir à avoir prise sur ce flux informationnel ininterrompu qui sature notre champ attentionnel, une « zoom fatigue » s’est installée démontrant une certaine lassitude des individus vis-à-vis des téléservices qui ne parviennent pas à remplacer les espaces de sociabilité traditionnels. Comme l’analyse le sociologue Dominique Boullier, nous avons vécu une immersion soudaine dans l’écosystème numérique, sans que nous ne parvenions réellement à l’habiter. La place accordée à la protection des données en témoigne comme nous l’analysons dans le troisième article de cette série.
Pour en savoir plus :
Image d'illustration : Rama & Musée Bolo