Ces messageries qui nous mettent sous pression

Rédigé par Régis Chatellier

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01 juin 2017


Le design des applications de services de messageries instantanées génère pression sociale et inquiétudes quant à la protection de leur intimité des utilisateurs. 

Une équipe de chercheurs a interrogé des utilisateurs des messageries instantanées Facebook Messenger, Whatsapp ou iMessage afin de connaître les réactions provoquées par la fonctionnalité "message lu", cette petite icône qui vous prévient que le destinataire a effectivement ouvert son application pour prendre connaissance du message. Les réponses révèlent des sentiments de gêne et une forme de « pression sociale » à rester attentifs et toujours disponible.

Les personnes interrogées indiquent ressentir des préoccupations et du stress quant à leur intimité, qui serait mise en cause par ces outils, avec l’impression d’être surveillées par leurs interlocuteurs. Les destinataires se sentent alors dans l’obligation de répondre immédiatement à ces sollicitations. A l’autre bout de la ligne, les expéditeurs auraient tendance à se sentir affectés par le fait qu’on ne leur réponde pas directement après avoir vu le message, ou à l’inverse inquiets pour la personne qui ne l'aurait pas. A noter que WhatsApp et iMessage permettent de supprimer ces fonctionnalités (sauf pour les discussions de groupe), mais Messenger ne permet pas ce réglage de confidentialité. 

Ces petits outils, qui pourraient paraître anodins, produisent au contraire des phénomènes de surveillance par les pairs, ou de surveillance latérale (décrite plus bas par Dominique Cardon et Antonio Casilli). Chacun se retrouve en situation, sans nécessairement le souhaiter, d’espionner et d’entrer dans l’intimité de ses interlocuteurs, par le simple fait d’un petit signal de présence (ici de lecture). Ici c’est bien le design de l’application et la volonté des développeurs de nous maintenir en attention qui nous amènent à ce type de comportement. La surveillance n'est a priori pas l'objectif, mais bien un effet de bord des stratégies de captation de l'attention.


"Big Other" et surveillance latérale : les autres forment-ils une nouvelle autorité ?

Publié le 01 juin 2017

Extrait du cahier IP1, Vie privée à l'horizon 2020

L’expansion de la surveillance latérale (ou mutuelle) est une question qui intéresse plusieurs de nos experts. Pour Dominique Cardon elle désigne l’ensemble des comportements intrusifs des utilisateurs les uns envers les autres. Antonio Casilli explique que « pour comprendre qui est à l’écoute, il faut émettre des signaux qui vont provoquer des réactions, des commentaires ». C’est donc le niveau de participation qui détermine la force de la surveillance participative de tous par tous : le monde du « big other ». L’acceptation sociale de cette surveillance par les pairs est peut-être plus importante chez les jeunes générations. C’est en tout cas le point de vue de Yann Leroux pour qui cette « violence » est mieux perçue, car plus séduisante et moins brutale que celle qui serait exercée par une autorité. Chacun a ce pouvoir de surveillance sur autrui, ce qui tranche avec le modèle social classique, celui du panoptique. Si, dans le cas d’une surveillance institutionnelle, la régulation la plus adaptée est certainement juridique, dans le cas de la surveillance mutuelle, la régulation est plus complexe à organiser car les utilisateurs affichent leur identité de manière volontaire. Elle doit donc être plutôt sociale et culturelle et passe par l’auto-organisation. Dominique Cardon propose de transférer la critique de ceux qui s’exposent à ceux qui regardent. S’il est difficile de se prononcer sur ses conséquences à long terme, Yann Leroux s’interroge sur cette nouvelle forme de surveillance : comment grandir si ce n’est en s’opposant à une figure d’autorité ?

 


Article rédigé par Régis Chatellier , Chargé des études prospectives