Les civic-tech bousculent-elles (vraiment) la démocratie ?

Rédigé par Antoine Courmont

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18 décembre 2019


Retour sur les échanges de l’évènement organisé le 9 décembre 2019 par la CNIL autour des liens entre démocratie et technologie.

Lundi 9 décembre, la CNIL, en partenariat avec le Conseil économique, social et environnemental (CESE) organisait un événement pour débattre des enjeux éthiques et les questions de société soulevés par le développement des civic tech. Les échanges illustrent les défis à soulever pour que ces dispositifs de participation participent au renouvellement des relations entre gouvernants et gouvernés. Si les technologies sont nouvelles, les questions qu’elles posent sont anciennes : quelle place doit occuper l’acteur public au milieu de cet écosystème ? Quels effets de ces dispositifs de participation sur les processus politiques ? Comment favoriser la participation la plus large des citoyens ? Comment articuler volontés individuelles et intérêt général ?


En plein essor, les civic tech rassemblent « l’ensemble des initiatives visant à transformer les règles du jeu démocratique en intégrant une culture du numérique » comme le rappelle Clément Mabi, maître de conférence à l’UTC Compiègne. « Serpent venimeux » de la science-fiction observe l’auteure Catherine Dufour, la transformation des technologies politiques suscite des craintes de recomposition du pouvoir au profit d’un petit nombre ou d’entreprises privées. L’autre écueil consiste au contraire à ne faire de ces dispositifs de participation qu’un objet de communication sans prise sur le processus politique. « L’important n’est pas de participer mais de transformer. Les dispositifs de participation n’ont de sens que s’ils ont un effet sur l’action publique » soutient Clément Mabi. Pour cela, les intervenants insistent sur la nécessaire volonté politique de partager de pouvoir et d’inclure véritablement les citoyens dans la fabrique des politiques publiques.


Il est donc  indispensable de se défaire de tout solutionnisme technologique et de prendre en compte les biais et les limites de la participation. En premier lieu, la technologie n’est pas neutre. Le choix de l’outil contraint les possibilités de participation : les plateformes de civic tech tendent à privilégier les contributions écrites alors qu’une large part de la population est mal à l’aise avec ce média de communication. Le design des interfaces est souvent un frein à la participation des individus tout comme les termes administratifs ou institutionnels qui doivent être traduits en propos compréhensibles par le grand public. Enfin, interpelle Patrick Berckmans, responsable du département de la démocratie électronique au sein de l’Etat fédéral belge, il faut déconstruire le postulat selon lequel « Le citoyen a l’envie et les moyens de participer au débat. Les citoyens ne veulent pas de débat, mais des solutions. L’Etat doit organiser le chemin vers ces solutions ». Il insiste sur le caractère collectif de la démocratie et l’importance de ne pas individualiser la démocratie pour chacun au travers des civic tech. Clément Mabi tempère toutefois en pointant la nécessité d’être en capacité de situer qui parle pour analyser les contributions. La collecte de données sur les participants est à ce titre nécessaire pour expliciter les différents régimes de légitimité et éviter tout biais représentatif.


Alors que les initiatives participatives portées par des acteurs privés, startups ou géants du numérique, se multiplient, la place et le rôle de l’Etat sont rapidement apparus dans le débat entre les intervenants. Si Patrick Berckmans considère que l’Etat est le seul garant de la protection des données personnelles et de la détermination de l’intérêt général, Valentin Chaput, co-fondateur d’Open Source Politics, rétorque : « en matière de démocratie, il ne faut pas un acteur en situation de monopole ». Il défend le modèle des communs, dans lequel l’Etat doit jouer un rôle d’impulsion, en citant le cas de la mairie de Barcelone à l’origine du développement de l’outil open source de participation Decidim. Valentin Chaput insiste également sur l’adaptation du dispositif au contexte et aux finalités de la participation : « Il faut faire du sur-mesure sans négliger l’articulation avec les dispositifs présentiels ». Ce à quoi Clément Mabi abonde : « La participation est davantage une question d’artisanat que d’ingénierie ».

Le débat s’achevait sur les recommandations complémentaires des quatre intervenants : développer une éducation réflexive sur le numérique pour Clément Mabi, investir dans les écosystèmes vertueux et les communs numériques pour Valentin Chaput, maîtriser et encadrer par l’Etat les technologies politiques pour Patrick Berckmans, donner aux citoyens le pouvoir de formuler le contenu des votes pour Catherine Dufour.

 

Cahier Civic Tech, donnée et demos

La CNIL lançait à l’occasion de cet événement son nouveau cahier IP Civic Tech, Données et Demos disponible en ligne.

 

Revoir la soirée dans son intégralité :


Article rédigé par Antoine Courmont , Chargé d’études prospectives