La puce RFID sous la peau est-elle la voiture volante du numérique ?

Rédigé par Geoffrey Delcroix

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14 février 2017


Tel le serpent de mer, l’implantation sous-cutanée de puces RFID revient régulièrement à la surface, soit comme symbole de la modernité, soit comme incarnation du mal. Mais ce débat n’est-il pas déjà dépassé ? 

Nous sommes témoins en ce début d’année 2017 du énième retour d’une technologie qui devrait être notre futur depuis des années. Nous ne parlons pas ici de la voiture volante  ou bien des hologrammes… Non, ce nouveau triomphe rétro-futuriste est celui de la puce RFID sous-cutanée. Mais pourquoi cette idée de futur possible revient-elle régulièrement nous hanter ?

L’idée est fort simple en apparence : les puces RFID utilisent une technologie peu couteuse, éprouvée et dotée de beaucoup de qualités. Elles se sont donc multipliées dans notre environnement, des cartes de transport sans contact à la logistique industrielle (pour un panorama des usages, voir la page Wikipédia « communication en champ proche » ou le blog « avec ou sans contact »). Ces puces sont très petites et ne nécessitent pas de source interne d’énergie. D’où l’idée de les implanter sous la peau de volontaires (comme on le fait déjà pour certains animaux domestiques ou d’élevage) et de permettre ainsi à ce proto-cyborg, d’avoir des capacités augmentées apparentées à des superpouvoirs comme ouvrir des portes verrouillées d’un geste de la main. 

 « Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie. » (3ème loi de Arthur C. Clarke)

Début février 2017, c’est une entreprise belge qui a fait le buzz: 8 de ses employés, bien évidemment volontaires, ont accepté de se faire implanter une puce RFID sous la peau. Pourquoi ? Parce qu’ils avaient tendance à oublier leur badge… comme l’explique le responsable de l’entreprise aux journalistes de la RTBF : « L'idée a germé après que plusieurs employés ont perdu leurs badges. Ici l'identification est 'sous-cutanée', vous l'avez toujours avec vous ! ». Evidemment, cette finalité peut paraitre à l'observateur averti un peu disproportionnée d'un point de vue du respect des droits et libertés individuels...  

Que nous apprend cette nouvelle ?

D’abord, que nos imaginaires prospectifs des technologies ne sont pas toujours si créatifs que cela… comme l’a déjà très bien décrit Nicolas Nova dans son livre « Futurs ? La panne des imaginaires technologiques ». Cette nouvelle vient en effet s’ajouter à une longue liste d’exemples d’usages de ce type de puces RFID : boite de nuit barcelonaise ou de policiers mexicains sont repris très régulièrement comme des exemples de ce qui nous attend demain … depuis 10 ans !

De ce point de vue, pour le prospectiviste, la puce RFID sous cutanée est un peu l’équivalent « rétro-futuriste » pour les technologies de traçabilité et d’identification de la voiture volante : depuis 15 ans au moins, elle nous est régulièrement présentée comme une image du futur possible, un futur où nous serions tous porteurs de cet objet.

Pourquoi ce futur a-t-il tant de mal à naitre ?

Avant toute chose, car la puce sous-cutanée a peut-être plus à voir avec des pratiques (certes en train de se répandre, mais encore marginales) de body-hacking / bodymod ou avec les cultures cyberpunks ou transhumanistes qu’avec des usages émergents répandus (par exemple nécessitant d’avoir en permanence un tel dispositif sur (en) soi). La plus-value en termes d’usage n’est pas évidente, et cette idée n’a finalement jamais trouvée sa « killer app », cet usage qui permet à une innovation technologique de se répandre comme une trainée de poudre. Comme le signalait Amaelle Guiton dans son article relatant la première « implant party » française, organisée en 2015 lors du festival Futur en Seine, dans la grande majorité des cas vous pouvez faire la même chose avec votre téléphone, un bracelet voire avec un tatouage, beaucoup plus facile à retirer ou à améliorer ("upgrader") qu’une puce logée sous votre peau.

Beaucoup de bruit pour rien? Les enjeux éthiques sous-jacents : inviolabilité du corps et surveillance ubiquitaire. 

Mais cet engouement limité couplé à un périodique retour « à la une » est malgré tout parlant du point de vue éthique.

D’abord, car cette puce touche au corps, et comme nous le rappelions dans notre cahier IP2 « le corps, nouvel objet connecté », plus les technologies numériques se rapprochent du corps, plus leur caractère personnel et intime est flagrant. Des technologies intangibles (au sens "qui échappent au toucher" du mot) rejoignent alors le domaine par excellence de l'intangible (au sens de ce qui ne doit pas profaner, ce qui est sacré) : le corps humain. 

Ensuite, car elle incarne brutalement un scénario extrême de la société de la surveillance : avoir dans le corps une puce (que vous ne pouvez pas éteindre, retirer, ...) qui diffuse « à la demande » d’un lecteur distant un identifiant et/ou des données personnelles vous concernant est une incarnation parfaite des dérives possibles des technologies de traçabilité et de profilage des individus « connectés ». 

Pour conclure en reprenant les travaux déjà cités de Nicolas Nova, l’accumulation de ces signaux faibles marginaux ne nous aidera pas vraiment à faire la prospective des usages numériques. Pour autant, ils nous poussent à regarder des imaginaires alternatifs, moins bien « distribués » dans l'esprit du grand public mais beaucoup plus parlants. Si la voiture volante finira peut-être par s’incarner dans des essaims de drones autonomes au-dessus de nos villes, la puce identifiante sous-cutanée est peut-être simplement une métaphore rustique de la surveillance constante de nos faits et gestes dans un quotidien truffé d’objets et capteurs connectés que nous ne contrôlons pas. A cet égard, nos smartphones ont beau ne pas être sous notre peau, ils sont des compagnons si inséparables de notre quotidien (que nous n'éteignions pas, que nous ne déconnectons pas, et qui nous manquent terriblement si on les perd) qu'ils sont finalement des "mouchards" tout aussi perturbants... 


Illustration principale : Dave Chiu - RFID in Gap Jeans / Flickr CC BY-NC-ND


Article rédigé par Geoffrey Delcroix , Chargé des études prospectives