Quel prix à payer pour des tarifs dynamiques en magasin ?

Rédigé par Régis Chatellier

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13 juin 2017


On savait déjà que les e-commerçants se plaisaient à capter nos données pour personnaliser leurs tarifs, aujourd'hui, des pratiques de « prix dynamiques » font leur entrée dans les magasins physiques.

Dans un article du Guardian, le journaliste Tim Adams décrit la manière dont les enseignes de distribution britanniques envisagent d’adopter des pratiques de personnalisation des tarifs dans leurs points de ventes. Des pratiques que nous avions déjà explorées dans une lettre IP, Plus jamais seuls dans les rayons - La numérisation du commerce de détail.

Les acheteurs de billets de train ou d’avion comme ceux qui réservent des hôtels en ligne, connaissent déjà ces pratiques de prix fluctuants, appelées le « yield management ». Le tarif d’une nuitée dans un même hôtel peut évoluer très souvent sur un site comme Expedia, selon l’horaire, les disponibilités et d’autres critères. La plateforme Uber a introduit le surge pricing, faisant évoluer en temps réel les tarifs selon l’offre et la demande de véhicules, une pratique critiquée, qu’il conviendrait selon Ryan Calo et Alex Rosenblat de réguler plus sévèrement.

Les prix pourraient ne plus seulement dépendre de l’horaire, des niveaux de stock, ou de l’offre et la demande, mais aussi des données préalablement collectées au fil de nos achats. Ils pourraient notamment évoluer selon que vous soyez repéré comme un acheteur compulsif, une personne qui paye le prix sans réduction, ou à l’inverse en promotion. Le journaliste ajoute que les prix pourraient techniquement être fixés selon une multitude de critères tels que notre code postal, notre réseau d’amis, et d’autres traces que nous pourrions avoir laissées, comme autant de « miettes de cookies dans notre historique web ». En 2012, la chaîne Staples aux Etats-Unis utilisait la géolocalisation pour faire varier ses tarifs, selon que ses clients potentiels étaient situés plus ou moins loin d’un de leurs concurrents. Certains data brokers annonceraient offrir des profils marketing basés sur plus de 1500 variables pour chaque individu. Le Wall Street Journal révélait récemment qu’Orbitz, un site de voyage, segmentait les utilisateurs de PC et de Mac pour afficher des résultats différents, ces derniers étant prêts à dépenser de 20 à 30 dollars de plus que les premiers pour une chambre d’hôtel

Comme nous l’indiquions dans notre lettre IP consacrée à la numérisation du commerce de détail, « de manière assez ironique, des techniques de suivi et d’optimisation similaires à celles déjà utilisées pour tracer le comportement des internautes, font leur apparition dans les espaces de vente. Elles permettent de déterminer ce qui influence le taux de transformation, de personnaliser des offres, d’optimiser les programmes de fidélisation, voire de mettre en place des stratégies de prix différenciés selon le profil des individus et même, leur disposition à payer, réelle ou présumée. »

Ces pratiques de prix dynamiques étaient impossibles jusqu’alors dans les magasins physiques, où les étiquettes de prix étaient encore en papier, posées par des employés. Les étiquettes numériques sont déjà la norme en France et en Allemagne. Des étiquettes qui pourraient permettre de changer les tarifs plusieurs fois par jours. Déjà, deux enseignes londoniennes testent les prix dynamiques dans leurs rayons alimentaires, notamment sur le pain. A l’avenir, ces pratiques pourraient se généraliser à d’autres produits, notamment pour contrer l’effet showroom, cette pratique consistant à aller essayer en magasin pour ensuite acheter en ligne. L’individualisation est l’objectif à venir, l’enseigne B&Q testait il y a peu des étiquettes électroniques dont le prix s’adapte à la personne qui le regarde, à partir des données fournies par son téléphone mobile, des données de sa carte de fidélité ou ses achats passés, pour sous forme de promotions et d’offres spéciales.  

Plus que l’étiquette, ce sont les smartphones qui permettront de pousser la personnalisation, qui passera nécessairement par la collecte et l’analyse de données personnelles pour inférer la propension de chacun des consommateurs à acheter des produits, voire à modifier leurs consommations. Cathy O’Neil, dans son ouvrage Weapons of Math Destruction, explique qu’à partir des données d’historique d’achat dans un commerce, on peut estimer le prix à payer pour chaque consommateur pour qu’il adopte une marque de café ou de ketchup plutôt qu’une autre. Connaître la propension des consommateurs à changer leurs consommations permettrait de cibler à qui on distribue des coupons, ces mêmes personnes n’ayant pas conscience d’être ciblées sur la base de leurs données. L'information et le consentement des consommateurs figurent parmi les grands enjeux de ce type de pratique : ils devront pouvoir clairement être informés de l'utilisation possible de leurs données personnelles, non pas seulement pour leur offrir de meilleurs tarifs, mais potentiellement pour leur demander de payer plus, et d'accepter une forme de discrimination par la donnée, à leur détriment. A noter que la CNIL et la DGCCRF avaient indiqué en 2014, que des pratiques de modulation du prix (en l’occurrence dans le cas de la vente en ligne) devraient être examinées au regard de la protection des données personnelles et des articles L. 121-1 et suivants du code de la consommation, qui condamnent les procédés "qui altèrent, ou sont susceptibles d'altérer de manière substantielle, le comportement du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service".

L’étiquetage des tarifs avait été introduit dans son magasin en 1861 à Philadelphie par John Wanamaker afin de rendre les individus égaux devant les prix d’achats – auparavant, les prix étaient fixés et négociés pour chaque client. Ce sont ces mêmes étiquettes, devenues dynamiques, qui dans un effet contraire, risquent de donner un inégal accès aux individus à l’achat de biens et services, par des prix non plus pratiqués « à la tête du client », mais à l’allure de son jeu de données.

 


 

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Toujours plus de données pour des parcours « sans couture »

Publié le 15 avril 2015

Extrait de la Lettre IP Plus jamais seuls dans les rayons - La numérisation du commerce de détail

L’arrivée de nouveaux acteurs qui bénéficient d’une plus grande souplesse réglementaire provoque une numérisation du commerce de proximité. La relation clientèle est repensée et l’innovation (paiement mobile aux points de vente, usage de la biométrie, etc.) est désormais une manière d’attirer les clients plus volatiles que dans le monde bancaire traditionnel. Les transactions dans l’univers physique ne constitueront bientôt plus un rempart au tracking imposé pour les paiements à distance en raison des impératifs de lutte contre la fraude. La généralisation de programmes de fidélité quasi imperceptibles pour les utilisateurs semble déjà en marche. Dès lors, ces innovations doivent nécessairement s’accompagner d’une évolution dans les modalités d’exercice des droits des personnes : pastille d’alerte lors de la géolocalisation avec possibilité de désactivation, garanties apportées lors du croisement de fichiers (données de paiement et fichier marketing), recueil du consentement exprès pour la transmission de données « bancaires » à un tiers, respect de la confidentialité d’un achat avec possibilité de s’opposer au rattachement d’un paiement à un module fidélité, etc. L’innovation devrait également s’opérer via des droits plus efficients pour les utilisateurs de ces technologies. Enfin, il faut s’interroger sur l’impact social d’un parcours de paiement trop facilité.

À l’heure où la lutte contre le surendettement et le « mal endettement » constitue un enjeu majeur pour les pouvoirs publics, simplifier l’acte de paiement au point de lui ôter toute zone de friction pourrait faire basculer les plus fragiles vers des achats « plaisir » compulsifs.



Article rédigé par Régis Chatellier , Chargé des études prospectives