Les avantages et critiques formulées à l’encontre de la communication claire

Rédigé par Névine Lahlou

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08 novembre 2021


Le recours à certaines méthodologies comme le Legal design ou le langage clair peut favoriser la compréhension du droit (voir l’article précédent sur les enjeux de la communication claire appliquée à la protection des données). Cet article sera l’occasion de rappeler les bénéfices de ces méthodologies et de faire état des critiques fréquentes qu’elles rencontrent.

Le langage clair et le Legal design, des méthodologies aux bénéfices multiples

Une étude de janvier 2020 menée par Labrador fait état de l’efficacité du langage clair en prenant appui sur des chiffres. Ainsi, selon l’étude menée, 60% des lecteurs « mettent moins de 30 secondes pour lire intégralement un texte en Langage clair », contre 31% des lecteurs lorsque le texte n’est pas clarifié [1]. Le gain ne s’arrêterait pas là, puisque les lecteurs seraient 80% plus nombreux à mieux comprendre un texte en langage clair et mémoriseraient davantage les messages véhiculés [2]. Cette étude fait écho à des travaux plus anciens sur le sujet, selon lesquels la simplification des documents, par exemple pour les consommateurs, leur permettrait de mieux comprendre leurs engagements réciproques [3].

L’utilisation du langage clair peut en effet renforcer les relations entre l’émetteur et le destinataire de l’information, et consolider la confiance qu’ils se portent. Ce langage permettrait à cet égard de réaliser des « gains de temps et d’argent » [4]. Le renforcement de la confiance entre un professionnel et son client pourrait aussi favoriser la diminution des risques de contentieux. Par exemple, aux Etats-Unis, la clarification des documents a pu amener une baisse significative des recours à l’encontre d’une banque dans les années 70, comme l’a exposé M. M. ASPREY. Dans ce cas bien connu, la First National City Bank s’était en effet rendue compte que de nombreux litiges en recouvrement provenaient d’une incompréhension, de la part des débiteurs, des documents signés, s’agissant notamment des demandes de prêt. La clarification de ces documents a pu ainsi conduire à une diminution des litiges [5].

Le Legal design, issu du « design thinking » [6] renvoie quant à lui à une démarche globale, comprenant le langage clair, et ayant recours entre autres au visuel afin de clarifier le message juridique transmis. L’émetteur du message se positionne à la place du destinataire, dans une démarche d’empathie, pour concevoir une information juridique pertinente, compréhensible, et à sa portée. Cette logique peut s’appliquer par extension à l’élaboration d’un service spécifique. Comme décrit par A. PORTMANN, la démarche se veut participative, ce qui permet de renforcer la cohésion au sein des équipes, de simplifier les procédures mises en œuvre en interne, d’inclure des personnes aux compétences diversifiées, etc. Dans le cadre de la protection des données, un tel positionnement peut s’avérer aussi utile que nécessaire, afin d’informer de manière claire et accessible les personnes sur leurs droits.

Pourtant, malgré ces différents avantages avancés, de nombreuses critiques ont pu fleurir, aussi bien à l’encontre du langage clair que du Legal design.

 

Le langage clair et le Legal design, des méthodologies critiquées

Certaines critiques récurrentes à l’encontre des différentes méthodologies relatives à la communication claire peuvent être brièvement rapportées. Le langage clair a pu notamment être qualifié de trop simpliste, ou encore d’« enfantin » [7], au regard du particularisme du droit. Ses bénéfices pécuniaires ou encore ses bienfaits relatifs à la clarification du message transmis, ont également été remis en cause, parfois de manière virulente. Certains ont pu considérer que ce langage manquait de précision, et que ses bienfaits n’étaient pas démontrés [8].

Ces critiques peuvent être nuancées en rappelant que clarifier ses propos, à l’écrit comme à l’oral, ne signifie pas simplifier les choses à outrance. Il est ainsi possible d’être plus clair en conservant les spécificités du langage juridique, s’agissant notamment du vocabulaire utilisé. A cet égard, « les juristes ont tendance à exagérer les notions juridiques supposées non interchangeables » [9]. La clarification des propos peut opportunément passer par le bannissement du langage juridique jargonneux, du latin, des phrases trop longues, etc. La principale difficulté résidera en réalité dans le fait de réussir à modifier les habitudes des juristes, qui ont pu acquérir des façons spécifiques de rédiger, ou encore de s’exprimer. La formation demeure par conséquent le défi principal de la mise en œuvre du langage clair, mais également de la communication claire de manière plus générale.

Le Legal design est quant à lui parfois réduit [10], comme évoqué par Y. TAYORO et R. GAGNANT, à une simple « présentation d’images ou d’objets sous une forme esthétique ». Or, apposer des images ou modifier l’esthétique d’un contrat ne suffira pas à rendre l’information juridique plus accessible. Il s’agit de nouveau d’un raccourci et d’une méconnaissance quant au fonctionnement réel de la communication claire et des processus mis en œuvre pour favoriser l’accessibilité du message véhiculé. Le Legal design constitue en effet une démarche complète, réintégrant le destinataire du message dans le processus, en ayant recours à des savoirs juridiques, comme non juridiques.

Ainsi, dans le domaine de la protection des données, le recours à ces deux méthodologies pourra faciliter la compréhension des informations fournies auprès de la personne concernée. Il conviendra néanmoins de dépasser au sein des organismes les éventuelles réticences préexistantes, et de sensibiliser, voire former ses équipes sur la question. 


[1] Labrador, L’efficacité du langage clair prouvée par les chiffres, janvier 2020, p. 3.

[2] Ibidem. En effet, 39% comprenaient ce texte lorsqu’il n’était pas clarifié, contre 70% après clarification, et plus de 60% des lecteurs mémoriseraient davantage les informations contenues dans un texte clarifié.

[3] L’association du Barreau canadien et l’Association des banquiers canadiens, Mort au charabia !, Rapport du comité mixte sur la lisibilité juridique, Canada, 1009, p. 9 ; cité par N. LAHLOU, L’accès au droit dans la société de l’information, thèse, sous la direction de M. GILLES, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, 2020, p. 309.

[4] B. BAEDECKE, “European Law Conference – a promising start”, Clarity, n° 47, May 2002, p. 10, cité par N. LAHLOU, op. cit., p. 309.

[5] Cf. M. M. ASPREY, Plain language for lawyers, 3rd edition, Federation Press, 2003, p. 1, cité par N. LAHLOU, op. cit., p. 316.

[6] A noter que « le design thinking est une méthode globale de conception élaborée à l'université de Stanford aux États-Unis dans les années 1980 » : F. CREUX-THOMAS, « Le legal design : gadget ou opportunités pour les avocats ? », La Semaine Juridique Edition générale, n° 51, 16 décembre 2019, p. 2287.

[7] “It is babyish, it’s imprecise, there is no evidence that is improves comprehension”: B. BAEDECKE, op. cit., p. 10, cité par N. LAHLOU, op. cit, p. 310.

[8] Cf. pour une présentation de ces critiques, ainsi que de leur réponse : J. KIMBLE, “Answering the Critics of Plain Language”, The Sribes Journal of Legal Writing, n° 5, 1994-1995, p. 62, cité par N. LAHLOU, op. cit, p. 310.

[9] N. LAHLOU, op. cit., p. 312, faisant référence aux travaux de J. KIMBLE, op. cit., p. 2.

[10] Cf. sur cet aspect réducteur, les propos de J. SAVIN, cité par F. CREUX-THOMAS, précité, p. 2287.



Article rédigé par Névine Lahlou , Juriste au service de l'exercice des droits et des plaintes