Cahier IP10 - Nos données après nous
Le 10ème cahier Innovation et Prospective de la CNIL explore les usages et enjeux des données post mortem, de la mort à l’immortalité numérique, depuis la gestion des données, des comptes et la transmission des données jusqu’aux nouvelles offres d’agents conversationnels entrainés sur les données des défunts.

D’après une enquête Harris Interactive-CNIL menée en novembre 2024, près d’un tiers des Français déclare avoir déjà été confronté à des contenus émanant de comptes de personnes décédées sur les réseaux sociaux, particulièrement les tranches d’âges les plus jeunes. Pourtant, la même enquête nous apprend qu’une moitié des Français préfèrerait que les contenus qu’ils ont publiés sur les réseaux sociaux soient supprimés après leur décès, particulièrement les plus âgées.
Dans un contexte d’accélération de la numérisation de nos vies, la question de notre présence posthume dans l’univers des données tend à se développer. Nos traces numériques ne s’éteignent pas avec nous, les données post mortem nous survivent.
Le LINC a choisi d’explorer cette thématique des données post mortem, et de ce que l’on nomme la mort numérique, qui recoupe toute une série d’usages et autant d’enjeux. Ce cahier se base notamment sur cette enquête quantitative réalisée par Harris Interactive-Toluna en novembre 2024, une analyse en design menée par le LINC sur une série de services numériques, et sur une recension des usages, enjeux, des études et recherches sur le sujet. En parallèle, le LINC a collaboré avec l’Agence Mon Oncle pour la rédaction de quatre récits fictionnels sur autant d’enjeux : mémoire, fantômes, transcendance, héritage.
Post mortem, le droit diffère
Les données relatives aux personnes décédées, bien que permettant d’identifier directement ou indirectement des individus, ne sont pas considérées comme des « données personnelles » au sens du Règlement général sur la protection des données (RGPD). En effet, le Considérant 27 précise que celui-ci « ne s’applique pas aux données à caractère personnel des personnes décédées ». Le texte ouvre cependant la voie à ce que les États membres puissent prévoir des règles localement.
Si la France dispose d’un article dans sa Loi Informatique et Libertés, on constate une différence dans les approches choisies à l’international, entre protection des données de la vie privée, et des droits de succession.
Usages de la mort numérique
Les pratiques développées par les proches des personnes, au moment du décès et pendant le deuil, ont évolué avec le développement des technologies.
Depuis le premier « cimetière en ligne » proposé dès 1995, c’est un grand nombre de pratiques et de services qui se sont développés par des personnes confrontées au décès de proche, qui a permis l’individualisation des pratiques de deuil, et ouvert de nouvelles formes de média(tisa)tion du décès.
Le marché de la « mort numérique »
Dans ce contexte, la mort numérique a donné lieu à la création d’un marché. Si les plus grandes plateformes restent au centre, des entreprises ont très tôt proposé des services dédiés, pour la gestion des biens numériques ou des comptes de réseaux sociaux et la transmission de données. Au-delà, c’est tout un écosystème consacré à l’au-delà qui s’est constitué.
Quelle expérience utilisateur de la mort numérique en 2025 ?
A partir d'un inventaire des pages d’information et des politiques de confidentialité de vingt services numériques, et du test de l'expérience utilisateur sur un échantillon de sept grandes plateformes, le LINC a procédé à un exercice de rétro-design des parcours utilisateurs post mortem pour recréer des parcours types, selon trois temporalités :
- Paramétrage ante mortem : lorsqu’une personne souhaite anticiper, paramétrer et préparer la gestion des données la concernant après son décès ;
- Actions post mortem : lorsqu’une personne héritière, ou mandatée, doit agir sur les comptes de services numériques ;
- Interactions post mortem : lorsqu’une personne tierce, ou simplement spectatrice, se retrouve en situation d’interagir avec les données ou le compte d’une personne décédée.
-> Retrouvez la méthodologie et les données de cette analyse en design sur un article du LINC.
-> Téléchargez le poster "Panorama des parcours utilisateurs de gestion des données après la mort" (pdf)
Au-delà et vers l’immortalité ?
La quête de l’éternité ne nait pas avec le numérique. Elle apparaît dans les religions, mais aussi dans la fiction, source d’inspiration intarissable pour les créateurs de solutions d’immortalité numérique. Les évolutions technologiques ont permis de dépasser la seule promesse de mémoire et d’accompagnement du deuil pour aller vers de nouvelles voies, déjà à l’œuvre dans des mouvements tels que le transhumanisme.
Il est désormais possible d’entrainer des agents conversationnels – parfois appelés deadbots - avec des données de personnes décédées afin qu’ils interagissent à la manière de celles-ci. De nouveaux usages, qui posent de nouvelles questions, notamment celle d’un nouveau « paradoxe de la vie privée post mortem », ou d’un droit à ne pas devenir un robot.
Matérialités de la mort numérique
Ces données post mortem, avatars ou agents conversationnels reposent sur des infrastructures techniques matérielles. Conserver et préserver les données est devenu un exercice en soi pour des personnes qui mettent en place des stratégies pour conserver leurs propres données de leur vivant, ou les données de proches disparus. De même, les solutions numériques mobilisées pour la sauvegarde et la « survie numérique » requièrent de la maintenance pour continuer à fonctionner. Ce qui vise à interroger la matérialité de la mort numérique.
Des pistes pour sensibiliser aux enjeux juridiques et éthiques des données post mortem
La grande variété des cas d’usages décrits dans le cahier concentre un certain nombre d’enjeux, juridiques et éthiques. À cadre juridique constant, le LINC propose une série de recommandations adressées aux différentes parties prenantes.
Sensibiliser les publics au devenir de leurs données personnelles
- Rappeler que les droits des personnes relatives aux données post mortem sont applicables
- Sensibiliser et encourager les publics à la gestion ante mortem de leurs données
- Promouvoir des pratiques d’hygiène numérique
- Inscrire la gestion des données post mortem dans la prise en compte de l’empreinte environnementale du numérique
Encourager au développement de parcours utilisateurs compréhensibles
- Encourager à la production de standards du design d’expérience utilisateur
- Clarifier les questions juridiques relatives aux ayants droit et au mandat pour les personnes décédées
Prévenir les risques associés à l’usage des systèmes d’IA sur les données post mortem
- Ouvrir la voie à un meilleur contrôle de l’utilisation de ses données par des IA
- Prévenir et informer sur les risques associés à l’usage des deadbots

Post-Mortem.cloud
une exploration des imaginaires du numérique et de la mort qui a débouché sur la création de quatre récits de fiction reprenant les grands enjeux des données post mortem : mémoire, fantômes, transcendance, héritage.
Un projet mené par l’agence Mon Oncle, François Houste et Julie Girardot.
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Enquête : les Français et les données post mortem
En fin d’année 2024 et dans le cadre des travaux de rédaction du Cahier IP n°10 « Nos données après nous », le LINC a lancé une enquête avec Harris Interactive – Toluna afin d’explorer les relations des Français aux données post mortem.
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