Al(t)gorithmes (4) : Musiconomics et protection des données personnelles

Rédigé par Octave Aribaud

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15 décembre 2022


Les plateformes de streaming se livrent une véritable compétition pour conquérir le plus grand nombre d’utilisateurs et s’imposer au sein de l’environnement musical. Pour cela, elles ont adopté un modèle économique basé en partie sur l’extraction, la transformation et la revente des données personnelles, et disposent d’un atout : le format « playlist », en particulier quand elles sont générées automatiquement par des algorithmes.

- Article 1 : Al(t)gorithmes (1) : des recommandations toujours plus gourmandes en données personnelles ?

- Article 2 : Al(t)gorithmes (2) : Perceptions des utilisateurs de streaming

- Article 3 : Al(t)gorithmes (3) : Streaming, des algorithmes pas toujours responsables

- Article 4 : Al(t)gorithmes (4) : Musiconomics et protection des données personnelles

Le mardi 5 juillet 2022, Deezer a fait son entrée à la bourse de Paris. A travers cette opération, l’entreprise cherche à accélérer sa croissance et son influence sur le marché de la musique en streaming. Cette introduction en bourse est l’occasion de revenir sur les logiques économiques qui sous-tendent l’industrie du streaming musical, la place de l’utilisateur et de ses données.

 

Un modèle économique de la publicité à l’abonnement

Chaque année, les plateformes de streaming reversent la plus grande partie de leurs revenus aux labels de musique qui se chargent ensuite de les redistribuer aux artistes. En 2018, Deezer aurait ainsi reversé 70% de ses revenus aux labels de musique et Spotify près de 80% (pour en savoir plus sur la rémunération des artistes sur les plateformes de streaming, consulter cet article). Depuis sa création en 2008, la plateforme suédoise aurait versé plus de 30 milliards de dollars aux labels de musique, à tel point que la plateforme représente aujourd’hui près de 27% du chiffre d’affaires total du secteur de la musique enregistré.

En plus de ces coûts de fonctionnement et pour s’étendre, les plateformes de streaming investissent sans compter en recherche et développement, ou dans le rachat d’entreprises innovantes. Le 16 février 2022, Spotify annonçait ainsi le rachat de Spotify Podsights et Chartable. Deux acquisitions qui permettront à l’entreprise suédoise de donner aux annonceurs des indicateurs de performance plus précis et d'aider les éditeurs de podcasts à développer leur activité grâce à des informations complètes sur l'audience. Ces logiques d’investissement retardent le moment où ces entreprises deviennent rentables. Spotify a par exemple attendu le quatrième trimestre 2018 pour afficher ses premiers bénéfices.

 

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Tableau des revenus de Spotify de 2009 à 2021 (source : Statista)

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Tableau des recettes, coûts et pertes d'exploitation de Spotify (source : Statista)


L’adoption de ce nouveau modèle ne suffit cependant pas à équilibrer la balance. Ainsi, la majorité des plateformes de streaming existent et se déploient avant tout grâce à l’argent levé auprès d’investisseurs qui parient sur la rentabilité future des plateformes. Pour équilibrer la balance, les modèles d’affaires ont donc évolué au fil des investissements.

A son apparition, le streaming offrait une solution pour concurrencer le téléchargement illégal tout en reversant des droits d’auteurs aux labels et aux artistes. Pour séduire les utilisateurs, il fallait donc mettre en place un modèle aussi attrayant que le téléchargement illégal, avec au départ un modèle qui permet d’accéder « gratuitement » à un immense catalogue de musique. Comme le souligne M. Erikson et al. dans Spotify Teardown : Inside the Black Box of Streaming Music, par gratuité il faut cependant entendre que les utilisateurs acceptent de recevoir de la publicité ciblée sur la base de la collecte de leurs données personnelles. Les annonceurs achètent de l’espace publicitaire personnalisé sur la plateforme Spotify.Advertising (pour en savoir plus sur le fonctionnement de la publicité ciblée, lire notre dossier consacré aux cookies publicitaires). Ces espaces peuvent être des temps dédiés entre les chansons, des bannières visibles sur l’interface de la plateforme, mais l’entreprise diversifie de plus en plus les formats publicitaires qu’elle propose.

Ce modèle publicitaire ne permet cependant pas à l’entreprise d’être rentable. Début 2011, pour faire face à un déficit gigantesque et au moment où la plateforme s’étend vers le marché américain, Spotify annonce la création d’un modèle de rémunération hybride, connu sous le nom de « Freemium ». À la possibilité de créer un compte gratuit financé par la publicité, Spotify ajoute une offre premium qui permet d’écouter sa musique en illimité et sans publicités en échange d’un abonnement mensuel. Aujourd’hui, la publicité ne représente qu’un peu plus de 10% du revenu total de l’entreprise. Selon R. Prey, elle reste néanmoins un enjeu crucial parce que que 60% des nouveaux utilisateurs découvrent la plateforme par le biais d’un compte gratuit. Aussi, la plupart des nouveaux marchés visés par la plateforme – surtout les marchés sud-américains et africains – apprécient particulièrement ce format en raison de revenus plus faibles et malgré un prix par abonnement plus bas qu’en Europe. Au second trimestre 2022, les revenus publicitaires atteignait 360 millions de dollars, un record qui représente près de 13% de la part du revenu total de l’entreprise.

En parallèle, d’autres perspectives s’ouvrent pour revoir le modèle par abonnement : en particulier, les éditeurs non majors promeuvent une nouvelle répartition des revenus des abonnements centrée sur l’utilisateur (« user-centric distribution model ») qui n’allouerait plus les revenus des plateformes selon le nombre de streams, mais selon les choix de chaque utilisateur : dans ce modèle, un utilisateur écoutant uniquement du « Godpseed You! Black Emperor » conduirait au versement d’un montant de droits correspondant à son abonnement (soit entre 5 et 10€ par mois) à ce seul groupe. Cette (r)évolution permettrait de plus de lutter contre les « faux streams » dont sont régulièrement accusés certains articles ou genres et contre la concentration des revenus dans les artistes les plus streamés, quand bien même les goûts et pratiques des utilisateurs sont plus diversifiés. Cette idée a été soutenue par certaines plateformes comme Deezer, mais est toutefois vivement combattue par les majors, qui disposent souvent du catalogue des artistes les plus streamés. D’autres évolutions, comme la perspective d’une contribution de financement du Centre National de la Musique en France pourront également modifier les équilibres du modèle par abonnement.

 

Un marché compétitif mais des produits très similaires

On retrouve le même « modèle d’affaires » que celui que nous avons décrit plus haut chez nombre d’autres grandes entreprises numériques telles qu’Uber ou AirBnB. Un tel modèle est souvent défini sous le terme d’« économie de plateforme ». Publiée le 7 octobre 2016, la Loi pour une République Numérique définit une plateforme comme « tout personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant sur :

  • 1° Le classement ou le référencement, au moyen d'algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers.
  • 2° Ou la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d'un bien, de la fourniture d'un service ou de l'échange ou du partage d'un contenu, d'un bien ou d'un service ».

Récemment, le Digital Services Act fait la différence entre les « plateformes très larges », définies comme celles ayant plus de 45 millions d’utilisateurs actifs par mois dans l’Union Européenne soit l’équivalent de 10% de la population et les plateformes plus petites.

Ces plateformes s’appuient et bénéficient d’effets de réseau croisés :  plus elles ont d’utilisateurs, plus elles deviennent indispensables pour le reste des acteurs présents. Dans le cas du streaming, plus le catalogue de musique proposé par une plateforme est grand, plus les utilisateurs ont l’opportunité de trouver la musique qui leur correspond. Cela entraine aussi un afflux d’annonceurs qui sont attirés par la croissance du nombre d’utilisateurs de la plateforme. Ce modèle économique est aussi caractérisé par des économies d’échelle. Le coût d’un nouvel utilisateur sur la plateforme est quasiment nul et permet de réduire les coûts fixes incompressibles payés par l’entreprise (par exemple les contrats avec les maisons de disque). Sur le long terme, les plateformes comptent bénéficier d’un afflux de nouveaux utilisateurs pour obtenir un bilan positif. Enfin, les plateformes transforment leurs utilisateurs en source de données. Maya-Schonberger et Cukier, en 2013, utilisent ainsi le mot « datafication » pour décrire un large éventail de phénomènes par lesquels la vie quotidienne est suivie, quantifiée et analysée afin d'en tirer des conclusions prédictives, analysées puis revendues à des tiers pour la publicité ciblée.

Les grandes plateformes de streaming sont en compétition avec des armes plus ou moins similaires, situation qualifiée par certains chercheurs de « platform parity ». Toutes les principales plateformes de streaming musical, dont Spotify, Apple Music et Deezer, offrent un accès à des catalogues de musiques et à des fonctionnalités semblables. Par exemple la possibilité de naviguer, de rechercher et de créer des listes de lecture. Sur le papier, le prix d'un abonnement mensuel est similaire (environ 9,99€), mais il existe des variations car certaines entreprises proposent des remises (pour les étudiants par exemple), des offres pour attirer les nouveaux utilisateurs (par exemple, la gratuité pendant les trois premiers mois) et des offres groupées avec d'autres services (par exemple, des abonnements à prix réduits en partenariat avec des entreprises de téléphonie mobile). Toutefois, ces remises sont souvent imitées par les concurrents, ce qui réduit leur capacité à servir de source de différenciation. Enfin, il convient de relever que contrairement à d’autres services numériques comme les réseaux sociaux, les plateformes de streaming ne bénéficient pas particulièrement d’effets de réseaux « directs » (c’est-à-dire que l’utilité pour chaque utilisateur augmente avec le nombre d’utilisateurs).

Pour se démarquer, les plateformes se différencient donc notamment à travers leur image de marque. Selon J.W. Morris et D. Powers, celle-ci est composée de quatre aspects que sont :

  • L’interface : point de rencontre entre l’utilisateur et la plateforme ;
  • La qualité : à la fois la qualité sonore proposée par les plateformes mais aussi la qualité de la curation et de la recommandation ;
  • Le goût : les plateformes enrichissent leur catalogue et leurs services en prenant en compte les besoins de leur public cible ;
  • Le contrôle : ce que les utilisateurs peuvent faire avec les musiques et les applications qui leurs sont proposées.

Cette image de marque renvoie à l’identité du produit et permet de distinguer une plateforme d’une autre. En cela, elle est une stratégie essentielle des entreprises pour maintenir leur réputation où se démarquer de leur public cible. On le verra plus tard, les entreprises peuvent aussi se distinguer en réalisant des partenariats exclusifs avec des artistes afin de susciter l’intérêt de certains publics cibles.

 

Où se situe le pouvoir des plateformes de streaming ?

Si les plateformes de streaming sont en compétition entre elles, elles doivent aussi s’imposer au sein de l’écosystème musical. Dans son article intitulé « Locating Power in Plateformisation : Music Streaming Playlists and Curational Power », Robert Prey se demande pourquoi et comment le passage au streaming a bouleversé l’industrie de la musique (pour en savoir plus sur ce sujet, lire aussi Boulevard du Stream (2017) de Sophian Fanen). Il tente de comprendre où réside le pouvoir des plateformes et conclut qu’elles sont imbriquées dans un écosystème composé de trois marchés sur lesquelles elles doivent s’imposer pour survivre : l’industrie musicale, la publicité, les marchés financiers. Pour cela, elles s’appuient notamment sur la promotion d’un nouveau format particulièrement adapté au numérique : la playlist, et notamment celles qui sont automatiquement générées par des algorithmes.

Les plateformes de streaming doivent d’abord s’imposer sur le marché de l’industrie musicale. Elles distribuent une grande majorité de leurs revenus à des maisons de disques qui vivent assez mal de ne plus avoir le monopole de la distribution de la musique enregistrée. Pour s’imposer, les plateformes s’appuient sur la promotion du format playlist qui a remplacé le format album, et est devenu le principal medium de consommation de musique. Aujourd’hui, sur Spotify, dans les 100 playlists les plus suivies, 99 ont été créées par la plateforme elle-même. Une des raisons de leur succès est simplement qu’elles sont davantage mises en avant par les algorithmes de recommandation. Le succès de ces playlists se mesure en millions d’écoutes hebdomadaires, et donne aux plateformes un pouvoir de curation extrêmement important. A titre d’exemple, la playlist « Today’s Top Hit » a plus de 26.5 millions d’abonnés et une étude menée par la Commission Européenne et l’Université du Minnesota indiquait en 2018 que l’ajout d’un morceau à la playlist Today’s Hits pouvait augmenter les écoutes d’un artiste de plus de 20 millions, et engranger aussi plus de 100.000 dollars de revenus supplémentaires. Aujourd’hui, les grands labels s’opposent de plus en plus frontalement à la nouvelle capacité de curation des plateformes. A l’âge d’or de la radio, les majors possédaient environ 70% des droits des musiques jouées, aujourd’hui elles ne possèdent qu’environ 50% des droits des morceaux diffusés sur ces playlists. Pour cette raison, les majors hésitent désormais à accorder certains contrats à Spotify dans de nouveaux territoires et favorisent la concurrence – Apple Music par exemple – pour contrebalancer le pouvoir du géant suédois.

Selon R. Prey, Spotify doit aussi faire ses preuves sur le marché de la publicité. Pour faire face à l’augmentation de l’usage de bloqueurs de publicité, Spotify développe depuis 2020 un programme de playlists sponsorisées. Chaque semaine, la plateforme propose à des annonceurs de parrainer une playlist dont l’identité visuelle est transformée selon les souhaits de l’annonceur. Cependant, les artistes ne sont pas avertis de l’utilisation de leur œuvre sur ces playlists et participent ainsi involontairement et sans être rémunérés à la promotion de certaines marques.

Spotify doit enfin s’imposer sur les marchés financiers, elle a d’ailleurs fait son entrée à la bourse de New York le 3 avril 2018. Un des freins à l’investissement se trouve cependant dans la grande dépendance vis-à-vis des labels. C’est pourquoi la majorité des actionnaires souhaitent aujourd’hui que l’entreprise adopte un modèle similaire à celui de Netflix – c’est-à-dire que la plateforme commence à produire sa propre musique. Mais, cette incitation est à l’origine d’une nouvelle tension avec les labels qui voient d’un mauvais œil que la plateforme se détache de plus en plus de leurs contenus. La plateforme fait donc face à un paradoxe : elle à la fois dépendante des maisons de disques pour sa survie et non viable en tant qu'entreprise si elle continue à dépendre des maisons de disques pour son contenu.

 

Les données personnelles comme moteur de la différenciation

Selon Eric Drott, dans un article publié en 2018, la musique est aujourd’hui devenu un outil de surveillance. Il affirme que cela n’a cependant rien de nouveau. Pour étayer sa thèse, il s’appuie notamment sur les travaux de Dallas Smythe. En 1977, cette théoricienne de la communication aux influences marxistes écrit que le principal produit fabriqué par les médias de masse sous le capitalisme monopolistique n'était pas la programmation (c'est-à-dire la musique ou les émissions diffusées sur les ondes) mais le public, qui, attiré par cette programmation, était emballé et vendu aux annonceurs. Plus précisément, ce que les médias collectent, c'est le « pouvoir de l'audience » – une matière première isomorphe à la « force de travail » – qui est achetée par des annonceurs afin qu’ils puissent vendre leurs biens et services. Le « pouvoir de l’audience » est aujourd’hui plus communément appelé « marché biface » (nom popularisé par les travaux de Jean Tirole, prix Nobel français d’économie en 2014), et caractérise aujourd’hui l’activité de nombreuses plateformes. A cela s’ajoute que les plateformes de streaming transforment aussi les utilisateurs en « travailleurs du clic » les poussant à publier leurs playlists et leurs données dans le but de les exploiter et d’augmenter la valeur et les acquis des algorithmes. Selon S. Gopinath et J. Stanyek, le slogan de Spotify, « Music everytime, everywhere » (« la musique tout le temps et partout ») est devenu comme un impératif pour valoriser l’attention des utilisateurs.

L’écoute de l’utilisateur fait l’objet d’une double marchandisation supplémentaire. D’abord, l’accumulation puis l’analyse des données utilisateurs ont permis aux plateformes de construire des indicateurs permettant l’étude des nouvelles tendances musicales. Selon A. Maaso et al, les indicateurs créés par Spotify ou Deezer, auraient entre autre permis de changer le jour de sortie du mardi au vendredi afin de mieux correspondre à l’arrivée du week-end. Aussi, bien que l’analyse du marché de la musique se soit longtemps effectuée sur le long terme, l’accès continu à des statistiques permet désormais aux maisons disques de mesurer l’instantané ce qui facilite le repérage des artistes à succès. On l’a vu, si les plateformes de streaming, parce qu’elles sont disruptives, entretiennent des relations parfois tendues avec le reste de l’environnement musical, le développement de ces indicateurs permet d’entretenir de meilleures relations avec les labels de musique.

Les plateformes de streaming exploitent ensuite des données générées par leurs utilisateurs pour améliorer la qualité de leurs services. Le brevet déposé par Spotify le 1er mars 2022 et relatif à une nouvelle technologie de détection de talents sur sa plateforme en est un exemple. Cette technologie permet l’identification de certains profils utilisateurs dits « early comers » – c’est-à-dire qui ont, par le passé, découverts des artistes connus avant qu’ils deviennent populaires auprès du grand public. En croisant leur historique sur le long terme, la plateforme souhaite repérer les futures pépites de la musique et n’exclut pas la possibilité de leur faire signer des contrats sur le long terme. D’après le site Music Business Worldwide, Spotify fait le pari de l’opacité. Les profils défricheurs ne doivent pas savoir qu’ils ont été identifiés comme tels.

Pour extraire toujours plus de données, les plateformes de streaming mettent aussi en place des stratégies visant à capturer leurs utilisateurs. D’autant plus que les plateformes de musique, à l’inverse des plateformes vidéo, ne laissent que peu de place au multi-homing (pratique consistant à multiplier les abonnements à différentes plateformes) en raison du faible nombre d’exclusivité existant dans ce secteur. Selon R. Roberts, les plateformes jouent sur les émotions des individus afin de créer une situation d’enfermement (« lock-in ») sur deux niveaux. D’abord, les données alimentent la personnalisation engendrant ce que Ruckenstein et Granroth nomment un « sentiment appréciable de reconnaissance ». Dans l’esprit de nombreux utilisateurs, le changement de plateforme correspondrait à une perte de personnalisation et donc de confort. Pour contrer ce type d’enferment, la Commission Européenne a inclus le « Droit à la Portabilité » au sein de l’article 20 du RGPD.  Ce droit permet à un citoyen européen de récupérer les données qu’il a fournies à un site internet et de les transmettre à un site tiers. Le problème subsiste néanmoins car le droit à la portabilité (comme de nombreux droits du RGPD) est assez méconnu et donc relativement peu utilisé. Le droit à la portabilité ne couvre pas non plus les recommandations réalisées par les plateformes – qui couvrent tout de même 42% des écoutes – puisque ce sont des services proposés par celles-ci. Les plateformes de streaming encouragent par ailleurs leurs utilisateurs à partager leurs playlists et leurs trouvailles avec leurs amis, ce qui accentue un effet de dépendance vis-à-vis de certaines plateformes. Selon Sinclair et Tinson, l’investissement émotionnel des utilisateurs contribue à un sentiment de dépendance vis-à-vis des plateformes et de leurs fonctionnalités. Finalement, afin de capturer leurs utilisateurs, les plateformes de streaming retiennent aussi leurs utilisateurs à travers des stratégies marketing. Certaines plateformes ont ainsi formé, par le passé, des partenariats avec certains artistes pour proposer des sorties exclusives et les enfermer dans un sentiment d’accoutumance. Cette pratique est notamment étudiée par L.M. Meier et V.R. Manzerolle qui donnent entre autre exemple la sortie exclusive de l’album Songs of Innocence (du groupe U2) à l’occasion de la sortie de l’Iphone 6 en 2014 ou bien le partenariat entre Kanye West et la plateforme Tidal en 2015.

En somme, les plateformes de streaming sont prises dans un ensemble de logiques et de contraintes économiques auxquelles la réponse consiste souvent à recourir à des données extraites des utilisateurs. Si certaines plateformes de streaming permettent déjà à l’utilisateur d’exercer leur droit d’opposition à la collecte de leurs données (opt out), elles ne permettent pas encore à leurs utilisateurs de limiter la collecte de leurs données personnelles. Imaginer l’implémentation d’une telle possibilité invite entre autres à repenser la personnalisation. C’était d’ailleurs l’objectif des ateliers « Calculer Autrement » menés par le LINC les 24 et 31 août 2022, et qui ont mené à la rédaction du cinquième et dernier article de ce dossier.



Article rédigé par Octave Aribaud , Stagiaire études et prospective au LINC