Enquêter et travailler dans les Métavers
Si vous arrivez sur cette page, c'est très probablement parce que vous êtes intéressé(e) par notre annonce pour le poste d'Enquêteur(trice) des Métavers. Cette offre pourrait être disponible… dans le futur ! D’ici là, vous pouvez candidater ici pour rejoindre le service des contrôles de la CNIL.
La publication de cette offre d'emploi, et du récit fictionnel à lire ci-dessous s'inscrit dans des travaux et une réflexion prospective sur les futurs des métavers menée fin 2022 par le LINC, accompagné par l'agence Fabernovel.
Il s'agissait d'explorer les enjeux posés par le développement de la réalité virtuelle et de la réalité augmentée, au travers des technologies, usages et nouveaux marchés qui pourraient se développer. Ces nouveaux récits et designs fiction sont là pour nous permettre de nous interroger collectivement sur les futurs possibles, plausibles.
L'Enquêteur(trice) des Métavers répond à une fiction imaginée à horizon de 10 ans, une projection sur les conditions des travailleurs et travailleuses du virtuel :
2033, travailler chez FaceR
Lorsque je suis entré chez FaceR il y a six ans, c’était pour permettre à chacun d’explorer et d’exprimer plus librement sa personnalité dans le métavers. Mon rôle consistait à créer des alter-ego numériques, pour que nos clients puissent répondre aux contrôles d’identité qui sécurisaient leur expérience. On était en 2024 et l’équipe des designers commençait tout juste à entrevoir le potentiel du Web3. Le champ des possibles était grisant. Sauf pour notre responsable, Isabella, pour qui l’application des normes de sécurité et de production primait sur le potentiel créatif de nos missions. Mais les projets qu’on me confiait étaient géniaux, alors j’en prenais mon parti. D’autant plus qu’on était les premiers en France à travailler uniquement dans le métavers.
Je me souviens de l’amusement avec lequel j’ai ouvert le premier Starter Kit de l’entreprise. En déballant mon casque de VR et en positionnant les stickers censés délimiter l’espace de projection sur le mur de mon salon, je prenais la mesure du tournant technologique que l’on vivait. C’était vertigineux. Je repensais à la sortie de Matrix au cinéma et au bruit du modem lorsqu’Internet nous arrivait en 56k. C’est marrant, comme on s’adapte à tout. En une semaine j’avais déjà rejoint les rangs des « stickerisés », ces salariés casqués que les médias de l’époque appelaient « des Daft Punk en RTT ». Mon passé de cyberactiviste ne m’avait jamais paru aussi loin.
Pourtant, mes deux premières années chez FaceR me permettaient encore de concilier mes ambitions personnelles et mes productions professionnelles. Chaque commande d’avatar était l’occasion de relever un défi technique ou idéologique. Lorsque je travaillais pour des industries polluantes, je dissimulais les caractéristiques physiques des hackers qui m’inspiraient dans les visages virtuels de mes clients. Et lorsque nous accompagnions les leaders de l’énergie, j’utilisais des logiciels de modélisation alternatifs plus lents, mais moins énergivores. Il s’agissait de perdre du temps aujourd’hui, pour en faire gagner à nos ambitions écologiques demain. Un parti pris qui ne plaisait pas aux responsables du Contrôle Qualité et Sécurité (CQS), en charge de valider mon travail.
Mais à l’automne 2027, quand les cyberattaques de masse se sont généralisées, la question de la sécurité est devenue centrale pour les professionnels et les particuliers. Effrayés par les récits de hack et de pertes de données qui faisaient l’actualité, nos clients les plus vulnérables se sont tournés vers des structures capables de leur fournir une offre de service plus large. Isabella répétait que nous ne pouvions plus choisir nos interlocuteurs et qu’à partir de maintenant il faudrait accepter des collaborations qui, jusque-là, nous paraissaient absurdes. Un changement de cap abrupt qui donna lieu au départ de deux membres de l’équipe. Je dois admettre que si ma situation financière avait été différente à ce moment-là, nous aurions été trois.
Géants de la fast fashion, multinationales de l’agrochimie, acteurs majeurs de l’industrie pétrolière… Si notre clientèle avait effectivement changé de visage, elle ne nous avait pas non plus forcés à franchir la ligne rouge. Mais en juin dernier, lorsque Isabella m’a demandé de designer trois avatars pour le compte d’un client anonyme et que nos serveurs internes me refusaient l’accès à son profil détaillé, je compris que nous y étions sans doute arrivés. En échangeant avec mes collègues, je finis par obtenir un nom : Taskforce2. Une société mère dont l’une des filiales était une entreprise d’armement. J’avais fait déjà beaucoup de concessions en travaillant pour des industries polluantes ou peu respectueuses du droit du travail, mais, pacifiste depuis toujours, je m’étais fixé cette limite.
Comment accepter une mission pareille ? Et si je la refusais, jusqu’où irait Isabella pour me le faire payer ? Les rappels à l’ordre ne cessaient d’apparaître dans nos espaces de visualisation : normes ISO, verrouillage des casques, procédures et délais de production… un seul pas de côté et c’était le licenciement assuré. Pourtant c’était plus fort que moi : je préférais tourner le dos à ces consignes absurdes, plutôt qu’à mes idées. Alors j’ai accepté ce projet, mais en y ajoutant mes conditions. Je produirai ces avatars en reprenant les traits des leaders autoritaires impliqués dans les conflits armés les plus violents de la décennie. L’équipe du CQS détestera, mais lorsqu’ils sauront pourquoi j’ai fait ça, je sais que nous pourrons enclencher une conversation difficile et nécessaire.
Dix jours passèrent. Plus la date de livraison approchait et plus la pression montait. Je n’avais pas encore commencé mes créations car je n’arrivais pas à me délester de cette peur. Cette peur de me retrouver sans emploi, de ne pas pouvoir nourrir ma famille, cette peur finalement des implications sur le monde réel. Je savais que je jouais avec le feu mais il était trop tard pour faire machine arrière : la date butoir était demain. Lorsque je finis par envoyer les trois avatars au CQS, personne n’en accusa réception. Une heure passa. Puis deux. Et un message d’Isabella s’afficha dans mon casque « Peut-on discuter ? Maintenant ? ». Si je me doutais de la teneur que pouvait prendre cet échange, j’étais loin d’imaginer ce à quoi il allait vraiment ressembler. Car, visiblement, il ne s’agissait plus de débattre de mes idées ou de celles de l’entreprise… mais de mes statistiques.
J’appris que sur le trimestre dernier j’avais oublié de verrouiller sept fois mon casque en partant en pause. Que le temps moyen que je m’accordais pour boire un verre d’eau ou prendre l’air, dépassait de 6,7% celui que l’entreprise allouait habituellement à ses employés. Que mon rythme cardiaque était de deux points inférieur à celui qui démontrait un « enthousiasme créatif au travail » selon le « Baromètre FaceR ». Et qu’en ajoutant à cela, un taux correspondance produit situé « 30% en dessous de la moyenne CQS » j’étais devenu, depuis la production de mes derniers avatars, une ressource « inefficace ».
Isabella m’indiqua qu’elle n’avait d’autre choix que d’entamer une procédure de licenciement. Il s’agissait maintenant de rendre mon casque et de retirer, un à un, les stickers qui délimitaient mon mur de projection. J’étais sans voix. Il existait une réalité où la somme de quelques erreurs pouvait contrebalancer six années de collaboration, 479 avatars, 63 projets remportés et cinq classements parmi les agences les plus créatives du marché. En entrant chez FaceR il y a six ans, je voulais permettre à chacun d’explorer et d’exprimer plus librement sa personnalité dans le métavers. Je n’aurais jamais imaginé en sortir, pour avoir voulu en faire de même.
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Quels seront les métiers du virtuel dans dix ans ? Quel droit à la déconnexion ? Faudra t-il que les régulateurs les investissent, pour mieux les contrôler ? Comment nous adapter à ces nouvelles interfaces ?
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Inspirations - observations du présent
Afin de rédiger ce scénario, et proposer cet artefact, nous avons exploré les grandes tendances et les signaux faibles ans les réalités virtuelles, la réalité augmentée, et plus largement le numérique et la société. Nous avons identifié les grands champs d’influence pour le futur des métavers (technologie, gouvernance, environnement, société, usages), au sein desquels nous avons recherché les différentes variables à partir desquels des événements, des technologies ou des usages pourraient advenir.
Ici, les champs d’influences et variables sélectionnés parmi un panel très large sont :
- GOUVERNANCE - David contre Goliath : confiance envers les GAFAM et contrôle de leur utilisation des données personnelles :
- [despotisme] - Grâce aux données dont ils disposent sur les utilisateurs et le développement toujours croissant de la publicité ciblée, l’influence des GAFAM sur la sphère publique a fini par rompre la confiance des citoyens envers la plupart des institutions démocratiques, désormais jugées comme corrompues par les algorithmes. Parmi les inspirations de cette variable, on retrouve le rachat de Twitter par Elon Musk et les différentes manipulations rendues possibles grâce aux réseaux sociaux facilitent l’influence des populations.
- TECHNOLOGIES - Méta-cybersécurité
- [usurpation] Pour éviter toute logique de profilage et garantir l’adhésion d’utilisateurs méfiants, les systèmes de sécurité de la plupart des métavers restent sommaires. Par conséquent, les usurpations d’identité sont courantes et aux impacts parfois dramatiques. Parmi les inspirations de cette variable, on imagine les technologies de reconnaissance faciale remises en question par les populations, et par les régulateurs comme la CNIL.
- SOCIETE - (Télé)travailler dans le métavers : l’entreprise libérée est-elle celle du salarié tracé ?
- [télétravail] Les métavers permettent de créer des lieux d’interactions entre les collaborateurs des entreprises, qu’importe le lieu où ils se trouvent. Grâce aux avatars, les frontières hiérarchiques sont atténuées, permettant de partager autour d’intérêts communs pendant ces moments d’échanges informels. Les métavers permettent davantage de bien-être en entreprise notamment en rendant le travail hybride plus simple. Parmi les inspirations de cette variable, on retrouve le développement de plateformes d’entreprises pour organiser le travail hybride, associés à la volonté des personnes et notamment des jeunes d’avoir de meilleures conditions de travail.
- [formation] La VR a gagné un grand nombre de milieux professionnels dans des contextes de formation, à commencer par l’entraînement aux gestes techniques critiques. Se développent cependant dans des secteurs moins sensibles des mécanismes d’évaluation des salariés extrêmement fins, utilisant les données captées par les dispositifs de formation pour tracer la performance, mais aussi la qualité de l’implication et de l’attention des salariés. Parmi les inspirations de cette variable, on reprend les expériences de VR utilisée au service des formations professionnelles.