Contrôle parental : les parents et smartphones sont-ils prêts ?

Rédigé par Martin Biéri

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31 juillet 2023


Est-il possible d’avoir des dispositifs de contrôle parental respectueux de la protection des données et de la vie privée – et en particulier des premiers concernés, les mineurs – ? Le LINC s’est penché sur la question du contrôle parental et de sa perception par les mineurs. Cet article propose également une analyse non-exhaustive de dispositifs proposés directement sur les principaux systèmes d’exploitation de smartphones (iOS, Android « sans surcouche » et une version d’Android de Samsung), alors que le décret d’application de la loi Studer, qui encadre ces systèmes de contrôle parental, a été récemment publié.

Le contrôle parental : contexte et enjeux

 

Les systèmes de contrôle parental, pas si nouveaux que ça  

Il existe déjà un précédent entre le contrôle parental et obligations légales. En effet, l’article 6 de la loi pour une confiance dans l’économie numérique (LCEN) de 2004 demandait déjà aux fournisseurs d’accès à internet (FAI) et aux « box » de fournir un dispositif de contrôle parental : « Les personnes dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne informent leurs abonnés de l'existence de moyens techniques permettant de restreindre l'accès à certains services ou de les sélectionner et leur proposent au moins un de ces moyens sans surcoût ».

Ces « personnes » ont donc dû mettre à disposition des utilisatrices et utilisateurs des logiciels permettant un contrôle parental activable directement sur leur box ou terminaux, et ce depuis 2006. Deux années plus tard, le journal 01Net avait publié un article revenant sur les différents systèmes proposés par les FAI, et le bilan n’était pas très bon à en croire les auteurs du comparatif : « Tous recalés ! Si l’on devait noter de façon binaire les logiciels de contrôle parental proposés gratuitement par les fournisseurs d’accès à Internet (FAI)… tous se verraient coller un zéro pointé ! ». Les critiques semblaient se cristalliser autour de l’efficience des blocages, des systèmes de filtre ou encore le paramétrage possible de ces systèmes. La critique est plus nuancée dans le reste du test, mais elle semble bien cristalliser les enjeux et attentes qu’il pouvait déjà y avoir autour de ces systèmes, qu’il s’agisse des fonctionnalités disponibles, de la fiabilité du dispositif ou encore de son utilisabilité.

Depuis, l’évolution du numérique et de ses usages est passé par là, et de nouveaux systèmes de contrôle parental ont émergé, à travers la diffusion des smartphones (mais aussi de consoles de jeux-vidéo) et avec l’arrivée de nouveaux acteurs proposant ce type d’outil de contrôle et suivi.

 

Sont-ils utilisés ?

En effet, les terminaux connectés se sont multipliés entre les mains des plus jeunes : selon le Baromètre du numérique 2022, 90% des 12-17 ans possèdent un smartphone, 97% de 18-24 ans, des chiffres qui semblent plutôt stables ces dernières années. Mais ont-ils un ou plusieurs systèmes de contrôle parental installé (ou activé) sur ces smartphones ?

Si l’on regarde un peu la littérature sur le sujet, l’acquisition d’un téléphone portable s’inscrit dans un contexte de négociation parent(s)-enfant, et les accès (téléphone, accès Wi-fi, 4G/5G, etc.) se récupèrent par étapes. C’est notamment ce que montre la chercheuse Nathalie Dupin (2019) : « A quelques exceptions près, l’ensemble des lycéens interrogés a d’abord disposé, pendant quelques mois au moins, d’un téléphone mobile ne disposant pas d’un accès à Internet ». Pour autant, elle note déjà qu’avec l’arrivée des smartphones bon marché et des petits forfaits comprenant des accès internet illimité, il pourrait y avoir une disparition du « par étapes », ou tout du moins une évolution de ses modalités – parfois d’ailleurs dans le sens d’un contrôle renforcé pour compenser ces accès plus larges et moins maitrisables !

En 2020, une étude Médiamétrie-OPEN-UNAF montrait que quasiment tous les parents interrogés avaient développé une stratégie concernant les usages des terminaux de leurs enfants (« 95% des parents mettent en place au moins une règle pour contrôler les usages numériques de leurs enfants »). La proportion tombe de moitié quand il s’agit de contrôle parental vraiment « numérique » : ils sont 44% à déclarer avoir procédé à au moins un paramétrage du terminal (smartphones, consoles, etc.) à des fins de « contrôle » des activités des mineurs.

Et du côté des mineurs, qu’est-ce qu’on en pense ? Ils semblent moins séduits par les outils de contrôle parental que les parents ou les responsables légaux qui les installent, comme semblent le montrer les avis laissés par des mineurs sur différentes applications de magasins d’application de smartphones. En effet, parmi les points mentionnés, on peut citer une restriction trop sévère, une intrusivité dans leur espace personnel et un motif de dégradation des relations avec leurs parents. Les aspects « négatifs » des systèmes de contrôle parental représentent 79% des commentaires. Les 21% restants mentionnent des points plus positifs, comme le contrôle de comportement addictif, la sécurité ou encore un espace de négociation et de liberté (dans l’ordre décroissant de mentions).

Dans une autre recherche, et avec un son de cloche beaucoup plus nuancé sur la réception du contrôle parental par les mineurs, le sociologue Yann Bruna s’interroge sur l’aspect spécifique du suivi des mineurs par la géolocalisation : « Il ressort de cette partie de notre analyse que la géolocalisation par les parents n’est pas systématiquement mal perçue par les adolescents, qui en comprennent les principaux enjeux en matière de menaces et de sécurité. Cette technologie reste néanmoins très intrusive. ».

Pour autant, il pourrait y avoir un effet d’âge, où les adolescents les plus matures et plus âgés se sentent infantilisés par ce dispositif qui peut mettre à mal la relation de confiance : « Que son usage soit négocié ou directement imposé, il peut se traduire par une restriction des libertés individuelles, par la mise à l’écart de certains proches (p. ex. dans le cas des familles recomposées) ou encore par une infantilisation mal vécue par les adolescents qui souhaitent au contraire montrer qu’ils deviennent adultes et peuvent se charger eux-mêmes de cette régulation ».

 

Et en termes de protection des données et de la vie privée ?

La CNIL a déjà publié des articles au sujet de ces systèmes et de leurs enjeux. S’ils se révèlent comme de vrais outils d’aide pour les parents, ils comportent également des risques :

  • Le risque d’altérer la relation de confiance entre les parents et le mineur ;
  • Le risque d’entraver le processus d’autonomisation du mineur ;
  • Le risque d’habituer le mineur à être sous surveillance constante.

Sur cet aspect plus spécifique de la géolocalisation des mineurs, la CNIL avait également publié un article à propos des montres connectées, dès 2018, dans lequel elle revenait sur ces aspects, mais également sur la question de la sécurité informatique (parfois relative) de ces systèmes (voir l’interview d’un expert ici aussi).

En effet, le simple ajout d’un logiciel augmente également les risques pour la vie privée, à travers une plus grande collecte des données,  voire des vulnérabilités. A titre d’illustration, en 2020, un groupe de chercheurs s’est penché sur les différentes applications de contrôle parental proposé sur Android, en explorant les 46 applications les plus populaires disponibles dans le magasin d’application de Google. Ici non plus, les résultats ne sont pas très encourageants : 11% des applications « transmettent des données en clair » ; 34% collectent et envoient des données personnelles « sans consentement approprié » ; et 72% « partagent des données avec des tiers, sans mentionner leur présence dans les politiques de confidentialité ». D’autres recherches, comme l’article Betrayed by the Guardian: Security and Privacy Risks of Parental Control Solutions (2020), montrent plutôt des risques liés au piratage, en soulignant que certains de ces systèmes peuvent « permettre un adversaire de contrôler entièrement la solution de contrôle parental, et peut ainsi aider directement les harceleurs en ligne et les cyberprédateurs ».

Un contexte qui montre bien l’étendue des enjeux et des défis qui ont trait aux dispositifs de contrôle parental, qui se situent quelque part entre l’outil d’aide à la parentalité, la protection des mineurs et l’éternel solutionnisme technologique.

 

Un décret, plusieurs fonctionnalités minimales et des enjeux à venir

Certains points du décret concernent directement la protection des données. En effet, le contrôle parental doit être proposé au premier paramétrage de l’appareil, et précise également les fonctionnalités minimales, c’est-à-dire les options que les fabricants du terminal doivent proposer a minima, à savoir :

  • La possibilité de bloquer le téléchargement de contenus mis à disposition par des boutiques d'applications logicielles lorsque la mise à disposition du contenu est légalement interdite aux mineurs ;
  • La possibilité de bloquer l'accès aux contenus installés dont la mise à disposition est légalement interdite aux mineurs

Pour ces deux objectifs, le décret détaille les caractéristiques de base de ces fonctionnalités : d’abord, une mise en œuvre locale et pas de remontées de données personnelles de la personne mineure (à l’exception de la création d’un compte pour l’accès à une boutique d’application quand cela s’avère nécessaire) ; ensuite, pas de traitement des données personnelles de la personne mineure (sauf celles qui s’avèreraient nécessaires pour le fonctionnement du dispositif de contrôle parental).


Article rédigé par Martin Biéri , Chargé d'études prospectives