AR-VR metaverse - vers des ARblocks

 

Antoine était bien. Il était tranquillement installé dans le fond de son canapé, ses lunettes sur le nez. Il était ce genre de personne, capable de passer des heures sans voir la lumière du jour, absorbé par la réalité pourtant virtuelle de son jeu en open-world, accessible grâce à sa paire de lunettes d’AR. Cela peut paraître étonnant pour certains, mais Antoine ne connaissait pas l’ennui. Ce bijou de technologie, encore onéreux dix années auparavant, était enfin devenu accessible au plus grand nombre. Antoine en avait fait l’acquisition sur Metazon en décembre 2030, peu après avoir bénéficié d’une “aide à la connexion” de l’État.

Cela faisait maintenant 4 mois qu’il l’utilisait au quotidien et qu’il n’avait presque plus eu besoin de sortir son smartphone. Ses lunettes lui ouvraient la porte à un monde où frontières entre réel et virtuel n’existaient plus, où la grandeur de la ville résidait principalement dans son investissement technologique, où signalétique urbaine et guides papiers commençaient leur entrée dans les musées, où l’information contextuelle était disponible instantanément… Une question lui trottait en tête : comment avait-il pu vivre sans pendant 38 années ?

Sans le réaliser, Antoine flânait dans des boutiques de fast-fashion où il n’avait pourtant jamais mis un pied 5 mois auparavant.

Sans le réaliser, Antoine mangeait dans des fast-food alléchants qui reniaient pourtant ses convictions sur le bien-être animal.

Sans le réaliser, Antoine subissait ses lunettes. Il avait cessé de se battre contre cette publicité intrusive. Le virtuel dictait le réel.

 

Un jour, Antoine réalisa.

Après un nouvel échec d’un entretien où le recruteur lui avait posé des questions sur son addiction aux jeux vidéos dont il n’avait pourtant jamais parlé, Antoine se dirigeait vers une épicerie de quartier à proximité. Alors qu’il suivait les indications de direction de ses lunettes, Antoine remarqua une nouvelle publicité pour le dernier film sur la plateforme Metazon Prime. Un film d’action porté par le dernier acteur en vogue et qui s’annonçait riche en actions. Antoine était tellement captivé par ce que lui montrait son gadget qu’il en oubliait les personnes sur le trottoir, et seule sa collision avec un passant en sens inverse le ramena à la réalité. Ses lunettes venaient de s’envoler, et deux tours sur elles-même plus tard, s’écrasaient brutalement sur le sol. Il ne s’agissait plus de lunettes mais de trois morceaux brisés, reliés par quelques fils endommagés. Une chose était certaine, Antoine n’avait plus rien à se mettre sur le nez.

Ce jour, Antoine fondit en larmes.

Comment allait-il faire ses courses désormais ? Comment allait-il retrouver son chemin ? Lui qui venait de trouver un travail d’analyste en intérim, comment allait-il pouvoir continuer puisque sa paire optimisait considérablement son temps de travail ? Ces questions, il se les posait. Mais elles n’étaient pas à l’origine de ses larmes. Alors qu’il poursuivait son chemin sans lunettes, Antoine trouvait la balade plus agréable que d’habitude. Plus calme, plus relaxante, moins fatigante pour ses yeux. Antoine redécouvrit les couleurs des arbres, les façades plus ou moins entretenues des immeubles, les devantures défraîchies de certaines enseignes.

Ce jour, Antoine comprit à quel point cette paire le fatiguait, mais surtout à quel point l’aspérité du réel l’emportait sur la perfection monotone du virtuel.

Antoine aurait pu continuer à vivre comme tel, mais l’apport de ce bijou technologique dans son travail, si précieux pour l’aider à analyser des lignes de tableurs ou relire ses fautes d’orthographe - et ainsi pouvoir payer son loyer, l’obligeait à se mettre en quête d’un réparateur, ou d’une nouvelle paire.

Après quelques recherches, Antoine découvrit les lentilles Pears, invisibles, et surtout avec une fonction “Anti-Pollution”. Il n’était pas question d’écologie ou de bruit, mais bien de pollution visuelle. Malheureusement, le prix lui fit continuer ses recherches. Il tomba ensuite sur l’annonce qui allait changer son quotidien. La plateforme CorsaireGulf, un site de logiciels pirates pour toute sorte d’appareils, venait de sortir son dernier proxy pour lunettes AR, limitant les publicités intrusives et tout contenu non désiré, pour soi mais également pour les autres. Antoine ne verrait que ce qu’il souhaite voir, et les autres ne verraient de lui que ce qu’il accepte de montrer. Après quelques vérifications sur le logiciel pour ne pas attraper de virus, Antoine lança le téléchargement et envoya ses lunettes en réparation.

***

Sa paire réparée sur le nez et son add-on installé, Antoine redécouvrait son quartier. Les publicités des grandes enseignes laissaient place à des musées, des expositions temporaires de quartiers, des anecdotes historiques sur les bâtiments… L’homme de 38 ans profitait pleinement du grand air, tout en pouvant continuer à profiter de sa passion pour les jeux vidéos. Un sage équilibre entre réel et virtuel.

Néanmoins, Antoine était encore en recherche de CDI, pour avoir enfin une situation professionnelle stable. Après avoir obtenu un entretien et réussi haut la main le test technique notamment grâce à son nouveau bijou, Antoine avait désormais rendez-vous avec Anna.

Anna était une cheffe d’entreprise déterminée, diplômée d’une grande école de commerce, et dont la réussite se mesurait au nombre de termes techniques dans la description de son poste. Le genre de personnes qui méprisent généralement les gamers comme Antoine.

C’était un mardi. Antoine avait rendez-vous au 31e étage d’une grande tour de La Défense. En sortant de l’ascenseur, il fut accueilli par l’assistant d’Anna. «Je vous laisse patienter ici, Madame est avertie de votre présence». Il connaissait la chanson, lui qui n’avait connu que l’échec lors de ses entretiens de CDI. Anna sortit de son bureau pour l’accueillir et l’entretien démarra. Le cœur d’Antoine battait à pleine allure, il pouvait ressentir les vibrations dans tout son corps. «Reste concentré» se disait-il intérieurement.

Après plusieurs minutes d’entretien, le visage d’Anna s’éclaira. Malgré sa paire de lentilles Pears sur les yeux, celles dont rêvait Antoine, elle ne pouvait déceler tous les secrets de son candidat. Pas la moindre question personnelle, le moindre commentaire sur son temps d’écran ou son rythme cardiaque. Les lunettes d’Antoine ne laissaient rien paraître, et Anna ne pouvait qu’apprécier les réponses pertinentes de son interlocuteur, déjà brillant lors du test technique.

A peine 45 minutes après le début de l’entretien, Anna conclut : «Quand êtes-vous disponible pour commencer ?».