''Paye avec un sourire !'' : la biométrie et la reconnaissance faciale au pays des euphémismes marketing

Rédigé par Geoffrey Delcroix

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17 octobre 2017


"Payer avec un sourire" telle est la promesse faite par le géant du e-commerce chinois AliBaba. Une manière d'euphémiser les technologies... 

Dans une vidéo YouTube de Mashable, nous assistons au test d'une opération de paiement dans une sandwicherie en Chine. Une jeune femme souriante se tient face à une borne et paye sans utiliser sa carte ou son portefeuille, "avec son sourire". 

Bien évidemment, le sourire n'a rien à voir là-dedans : rassurez-vous, vous aurez pour l'instant encore le droit d'être d'humeur maussade en payant. En réalité, la technologie utilisée (et qui n'est pas nouvelle...) est la biométrie par reconnaissance faciale. Ces dispositifs ne sont pas anodins : les données biométriques permettent de reconnaitre automatiquement les personnes et reposent sur une réalité biologique permanente, dont elles ne peuvent s’affranchir (à la différence d’un badge ou d’un mot de passe, il n’est pas possible de se défaire d’une caractéristique biométrique ou de la modifier).

Ces dispositifs sont fortement encadrés en France et soumis à autorisation de la CNIL (par exemple en ce qui concerne le contrôle d’accès sur les lieux de travail).

D'une manière ou d'une autre, il a fallu "s'enrôler" dans le dispositif, qui a constitué un gabarit biométrique du visage en 3D ; puis la caméra compare cette modélisation à celle faite en présentant le visage. Tout cela fait beaucoup parler, surtout depuis que le dernier iPhone intègre une technologie similaire. 

Mais pourquoi parler de sourire? C'est bien évidemment un simple euphémisme marketing. "Payer avec un sourire" est plus vendeur que "payer avec un modèle biométrique 3D de votre visage". C'est aussi moins inquiétant (et cela euphémise aussi l'acte d'achat, rendu plus "fun"). De tels euphémismes fleurissent dans les technologies, en particulier dans ce domaine de la biométrie. 

Ainsi, il y a quelques mois, une autre entreprise proposait de payer "avec un selfie". Là encore, pas de selfie mais de la reconnaissance faciale. C'est juste plus vendeur de parler de selfie. 

Bien sûr, il s'agit juste de petites tactiques de marketing assez traditionnelles, qui révèlent le regard que portent ces entreprises sur les utilisateurs : les technologies étant complexes, les expliquer risque de créer de l'inquiétude. Autant les euphémiser au maximum, quitte à infantiliser le consommateur, plutôt que de risquer qu'il ne se pose trop de question. 

Cette approche n'est peut-être pas la plus saine du point de vue de la protection des libertés individuelles et du respect de "l'autodétermination informationnelle" des individus. Une occasion de rappeler que parmi les nouveautés du Règlement général à la protection des données, on retrouve dorénavant la biométrie dans la liste des données sensibles. 


Article rédigé par Geoffrey Delcroix , Chargé des études prospectives