Jeux-vidéo, voix et réseaux sociaux

Rédigé par Martin Biéri

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20 septembre 2019


Le jeu-vidéo est en pleine mutation, par la convergence de trois grandes tendances : l’utilisation de la communication vocale, l’arrivée de nouveaux acteurs et les nouvelles manières d’utiliser les outils numériques par les plus jeunes. Les jeux en ligne deviennent alors une nouvelle forme de réseau social, posant la question de leur statut.

Future is vocal

 

Les assistants vocaux et leur dissémination dans les nouveaux objets – notamment domotiques – illustrent le développement des usages de la voix. Nous avions déjà exploré ce phénomène dans notre dossier assistants vocaux.
Mais ce développement ne touche pas seulement notre environnement matériel, il accompagne le numérique dans sa globalité - et en particulier les jeux-vidéo. Le développement des jeux en ligne s’est depuis longtemps effectué en parallèle du développement de solutions et d’outils de communication vocale. Qu’il s’agisse de Skype, TeamSpeak ou plus récemment Discord, ces outils ont été massivement utilisés par les joueurs afin de coordonner leurs actions, renforçant également la communauté autour de ces jeux ; on pourrait ainsi remonter jusqu’aux premières parties de jeu sur les réseaux locaux).

Depuis, les jeux ou les plateformes de jeux ont intégré directement des moyens de communication vocale sur leurs interfaces, certains ouvrant même des salons de discussion de manière automatique lorsque vous jouez avec quelqu’un que vous avez invité, comme par exemple dans League of Legends.

Dès lors, des jeux comme Fortnite, ou des outils support comme Discord, deviennent plus que de simples jeux, mais également de véritables places sociales dans lesquelles les joueurs peuvent venir autant pour une partie que pour « passer du temps » avec leurs amis ou leur communauté. Ainsi, Discord – créé d’abord pour les joueurs – est aujourd’hui aussi utilisé par des groupes militants et politiques

 

Les plus jeunes abandonnent les réseaux traditionnels… mais discutent via les jeux-vidéo

 

De manière réciproque, si les joueurs communiquent sur les réseaux sociaux, une partie des plus jeunes délaisse également les réseaux sociaux traditionnels pour utiliser des plateformes ou des moyens de conversations alternatifs, créant ainsi un jeu de vases communicants entre les anciens réseaux sociaux et les nouvelles places sociales proposées avec les jeux-vidéo. Une étude du National Research Group montre ainsi l’utilisation du jeu Fortnite comme un véritable réseau social.

De la même manière que les réseaux sociaux traditionnels, ces jeux et outils sont donc déjà dans le viseur des agences de renseignement : Le Monde soulignait en début d’année l’intérêt porté par la DGSE à ces plateformes.

 

Des frontières de plus en plus floues et poreuses

 

Nous le rappelions dans un précédent article du LINC : les plateformes numériques et les réseaux sociaux veulent s’inscrire dans cette tendance de gamification (faire de l’expérience utilisateur un moment plus ludique). Facebook le fait déjà depuis longtemps - et a récemment déplacé ses « Instant Games » de Messenger vers Facebook Gaming. Snapchat entend lancer un projet de plateforme de jeux, baptisé « Project Cognac ». De même pour Google, qui a lancé Stadia en début d’année, ou Apple avec son projet Arcade…

Mais si le jeu vidéo a toujours été un endroit « social », c’est surtout le changement d’échelle qui est notable : les joueurs de Fortnite sont des millions à jouer quotidiennement aux quatre coins du monde, et par ce biais transitent donc de nombreuses données personnelles.

 

Quel futur pour les jeux et pour les joueurs ?

 

Ces nouvelles manières de jouer et de communiquer traduisent une certaine mutation des plateformes qui rejoint l’exploration faite dans le Cahier IP 3 : des jeux de plus en plus immersifs, une diversité de modèles économiques et la personnalisation croissante de l’expérience du joueur (bonus, contenus spécifiques…). « Les jeux vidéo sont de formidables outils d’analyses des réactions et du comportement ».

Autre point à suivre : ces deux domaines ont des modèles économiques bien distincts. Les gros jeux-vidéo en ligne gratuits (Fortnite ou League of Legends par exemple) sont compensés par des dépenses facultatives (achat de bonus, personnalisation) ; celui des réseaux sociaux repose sur les revenus de la personnalisation des publicités (via la collecte de données personnelles). Dans une optique d’enrichissement de l’expérience des joueurs, il pourrait y avoir une convergence de ces modèles, ayant le potentiel de bouleverser le modèle des éditeurs de jeux…

 


Quelles règles pour les plateformes de jeux ?

 

En juin 2019, Epic Games a balayé d’un revers de main le contrôle de l’âge des utilisateurs de ses jeux, en prétendant que cela ne relevait pas de leur responsabilité, mais de celles des plateformes d’inscription des joueurs (à savoir Playstation, Nintendo, etc.). En Chine, le géant Tencent  s’est déjà emparé du problème, forçant certains éditeurs à reconnaître les joueurs mineurs (via la reconnaissance faciale), ou à limiter leur temps de jeu à 2h par jour.

Pourtant, si cette mutation devient effective, il faudra se poser la question des règles que les acteurs des jeux en ligne doivent respecter en matière de données personnelles. Le RGPD dispose en effet que, lorsque le consentement est nécessaire, des conditions particulières pour les mineurs s’appliquent pour l'offre directe de services de la société de l'information aux enfants : « le traitement des données personnelles d’un enfant fondé sur le consentement est licite lorsque l’enfant est âgé d’au moins 16 ans ». Le RGPD a laissé le choix aux pays de l’Union d’abaisser cet âge dès lors que cela reste supérieur à 13 ans – la France a choisi de fixer cette limite à 15 ans.




Article rédigé par Martin Biéri , Chargé d'études prospectives