L’oracle du net, un making of
Rédigé par Victoria DUCHATELLE
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29 November 2017Au printemps 2017, LINC inaugurait une nouvelle forme de collaboration en recevant Victoria Duchatelle “en résidence”, avec pour mission de finaliser son projet de fin d’études de design par le développement de “L’oracle du net”, un site et une extension de navigateur pour « mieux comprendre comment les algorithmes structurent et influencent nos interactions numériques ». Nous avons demandé à Victoria Duchatelle de raconter son expérience.
[L'Oracle du Net n'est plus disponible actuellement, cet article reste publié à titre d'information sur la démarche]
La création de l’oracle était une expérience en elle-même. Comme tout projet mêlant design et web, il a commencé par une réflexion sur un besoin. Comment amener un internaute à réfléchir sur ses comportements en ligne ? Comment lui faire comprendre les traces qu’il laisse et les informations qu’il envoie ? Comment lui révéler la complexité cachée de services fluides et dont l’usage est un jeu d’enfant ?
Un raisonnement qui se complexifie encore quand on se retrouve face à deux évidences : d’abord, celle qu’un internaute peu averti risque d’être peu sensible à une action menée par la CNIL. Ensuite, l’impossibilité de détourner les plateformes ou les navigateurs pour qu’ils donnent à voir leurs entrailles.
Penser l’expérience
Voilà comment j’en suis arrivée à imaginer une expérience utilisateur qui reposerait à la fois sur un site web qui ferait office d’accroche et une extension qui pourrait servir d’expérimentation en temps réel pour l’internaute. Le tout accompagné du personnage d’Hally, histoire de rendre la plongée dans les abysses du web moins effrayante.
En raison de la contrainte du temps de réalisation (deux mois) un choix était nécessaire quant au champ d’action de l’oracle : il fallait donc choisir des services web que nous utilisons quotidiennement. Au minimum un réseau social et un moteur de recherche car leurs mécanismes sont distincts et leurs impacts sur l’utilisateur notables. Twitter, Facebook et Google étaient les premiers élus.
La diffusion du savoir s'est faite alors par des canaux traditionnels avec l’appui du Linc de la CNIL : presse, bouche à oreille, réseaux sociaux… notamment grâce au personnage d’Hally, le compagnon de cette exploration numérique bavard sur Twitter et dont les « visions » pouvaient être partagées via le site.
L’Oracle s’appuie donc sur deux éléments — le premier doit accrocher quand le second doit apprendre. Bien. Mais apprendre quoi ?
Produire les contenus
Une fois les plateformes trouvées, c’était le contenu qu’il s’agissait de mettre en place.
D’abord, renseigner l’utilisateur sur ce qui se passe sur une page web lorsque qu’il navigue. Pourquoi ce contenu lui est-il proposé ? Comment les algorithmes décident-ils de faire remonter ce post plutôt qu’un autre dans son flux d’informations ? Pourquoi Google lui conseille-t-il de cliquer sur ce lien en priorité? Il ne s’agissait certainement pas ici de jouer aux devinettes. Notre mission avec Linc a alors été d’explorer en détails les F.A.Q et les blogs techniques de Google, Twitter et Facebook pour ensuite les reformuler dans un langage moins juridique, verbeux ou trop technique, qui souvent décourage ou échappe à la plupart des utilisateurs.
Ensuite, il s'agissait de comprendre l’utilisateur les effets de certains de ces mécanismes ainsi que le pourquoi de leur conception. Comment ont-ils été pensé, pourquoi et quelles conséquences ? Pourrions-nous les concevoir autrement ?
Pour cela, afin de faire l’apprentissage d’Hally, de nombreux ingénieurs et philosophes de l’INRIA, du Sciences-Po média lab ou encore du Cigref ont été sollicités. Sans les éclairages techniques et éthiques de Frédéric Desprez et de Peter Sturm de l'Inria, les réflexions en sociologie et design web d’Hervé Rivano et de Dominique Cardon ou encore les lumières philosophiques de Flora Fischer et Alexandre Monnin, Hally aurait été bien moins instruit et pédagogue.
Cette matière pouvait alors prendre forme : comme on fouille dans les structures en sociologie, dans les concepts en philosophies, on allait pouvoir fouiller dans les méandres des pages web pour révéler les éléments cachés. Il fallait alors mimer cette progression de la pensée, presque dialectique, dans un mouvement que pourrait faire un utilisateur avec sa souris ou son doigt. C’est là qu’est venue l’idée des zones à gratter : derrière une publication Facebook ou un tweet, on allait inciter à aller chercher les données qui sont laissées et ce que le réseau social peut en faire par la suite — cette information étant neutre, autant que possible.
Développer l’outil
Le chantier technique s’est avéré à l’image de cette idée : fouiller dans les classes, les sous-classes et les structures des pages pour permettre d’animer le plugin et de faire apparaître les résultats dans un navigateur. C’est à ce moment-là qu’on se rend compte à quel point les mastodontes du web changent vite : chaque semaine, il fallait ajuster l’Oracle pour lui faire répondre à de nouvelles div. En plus de laisser l’opportunité à tous de vérifier le code, c’est aussi pour cela que nous avons depuis le départ imaginé le projet avec la Cnil de manière open source. S’agissant d’un projet grand public, il avait été décidé de développer l’Oracle sur Chrome, navigateur le plus utilisé en France et avec l’avantage de pouvoir être installé sur Chromium son pendant open-source. Évidemment, le projet était de mettre à disposition aussi l’extension sur Firefox, mais la première version de l’extension n’a pour le moment pas passé les fourches caudines de la communauté. Si l’Oracle veut vivre sur la durée, il faut lui donner l’opportunité de s’enrichir et de se mettre à jour et pour cela, rien ne vaut un effort communautaire. Hally n’attend qu’à vous rencontrer sur Github.
Rien n’aurait d'ailleurs pu voir le jour sans les communautés FabricJS et Blender, dont les forums ont prodigué de précieux conseils.
Au cours de la réalisation de l’Oracle, j’ai souvent discuté avec des développeurs pour trouver des solutions à des problèmes que je rencontrais. S’ils m’ont souvent éclairée, ils m’ont aussi souvent dit que ce que je cherchais à faire paraissait impossible ou trop complexe. Parce que j’étais passionnée, et parce que n’ayant pas de formation conventionnelle, je ne m’imposais aucune limite... et j’y suis finalement parvenue. Si ma manière de programmer n’est pas sans défaut et peu orthodoxe, elle ne demande qu’à progresser et peut —du moins je l’espère, modestement proposer de nouvelles perspectives.
De son côté, Hally se lance sur le chemin des écoles numériques ; on lui souhaite une belle aventure!