Jellybooks : quand une startup pivote de la recommandation culturelle vers l'analyse des données de lecture

Rédigé par Geoffrey Delcroix

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04 July 2017


En 2012, une startup britannique, Jellybooks, faisait le pari de permettre aux lecteurs de découvrir de nouveaux livres par son système de recommandation. Cette startup s'inscrivait alors pleinement dans le mouvement que nous décrivions dans notre cahier IP3 : Les données, muses et frontières de la création. Un des (nombreux) projets de "Netflix des livres numériques". 

Le projet n'a pas rencontré, comme beaucoup de ces « Netflix des livres numériques », le succès escompté. Pourtant, quelque chose marchait bien dans le système : alors que le lecteur est habituellement seul face à son livre, le livre numérique est une formidable plateforme d'analyse des comportements de lecture (voir le chapitre dédié du cahier IP, p.28). 

Dès 2016, Jellybooks avait mené une étude sur le lectorat, découvrant entre autres que les hommes "décrochent" bien plus vite que les femmes (pour l’anecdote, les auteurs de l'étude interprètent cela comme le fait que les hommes décident plus vite si le livre les intéresse, et non pas qu'ils sont moins persévérants. Les auteurs de l'étude sont donc certainement des hommes). Le fondateur de la startup affirmait alors deux choses assez contradictoires : que l'étude démontrait qu'un livre n'avait que 20 à 50 pages pour "attraper" son lectorat masculin… mais que bien évidemment, les éditeurs n'allaient pas interpréter les résultats de cette analyse pour changer les contenus des livres publiés...

Cela a certainement nourri la réflexion de modèles d'affaire d'Andrew Rhomberg. Le fondateur de Jellybooks vient d'annoncer un pivot complet : plus question d'une bibliothèque de livres ouverte avec moteur de recommandations, mais un deal "contenus gratuits contre données" beaucoup plus traditionnel. Dorénavant, dans le cadre du programme "readers analytics", les éditeurs offriront des ouvrages à des lecteurs en échange d'un envoi massif de données de lecture : nombre de pages lues, temps passé, influence de la couverture, etc. Tout ce que l'utilisateur aura à faire sera de "cliquer sur un bouton à la fin de chaque chapitre pour envoyer les données", certainement une concession faite à la notion de consentement... 

Les choses sont expliquées certes de manière euphémisées mais présentées clairement aux lecteurs par la plateforme qui leur propose d’ailleurs de "voir" toutes les données collectées, dans une forme assez moderne de droit d'accès qui rappelle certains « dashboards » mis en place par certains acteurs (Google pour les localisations des smartphones Android, ou Nokia-Withings pour les objets connectés). Reste à voir si, comme pour ces dashboards d’ailleurs) l'analyse donnée au lecteur est aussi complète que celle fournie au client... 

Le site Actualitté semble avoir bien saisi tout l'enjeu de transparence que fait peser ce type de services sur nos habitudes de lecteurs : "pas moyen de se cacher derrière des livres qui font bien sur un CV, si votre plaisir coupable réside en la lecture de livres SM, Jellybooks le saura. Et ce, malgré tous vos mensonges et les recommandations que vous pourriez faire à vos amis."


Article rédigé par Geoffrey Delcroix , Chargé des études prospectives