« Partage ! » : 3 questions à... Michel Bauwens

Rédigé par Anuchika Stanislaus

 - 

11 août 2016


Dans le cadre de la publication de notre cahier IP « Partage ! », nous avons posé trois questions à Michel Bauwens, théoricien du «pair à pair » et des « communs ».

LINC : On entend beaucoup de discours positifs autour de l’économie du partage : quelle distinction faîtes-vous avec l’économie de pair-à-pair ? En quoi ces formes d’organisation sont-elles des facteurs d’émancipation pour les individus ?

Michel Bauwens: L'économie du partage s'agit, selon moi, d'échanges entre individus sans passer par des tiers. Cela peut être un don, un vrai partage. Mais le concept est aujourd’hui plutôt employé pour des variantes commerciales : la vente ou de la location directe. Quand ces échanges se font sur des plateformes commerciales, une partie significative de la valeur est écrémée par les propriétaires, les utilisateurs sont surveillés de par le manque de protection des données personnelles, et la mise en concurrence des individus fait baisser le prix du travail et des services réalisés en dehors de la plateforme. Finalement, s’il n'y a pas de copropriété ni de co-gouvernance, il n'y a pas d'économie du partage ni de vrai 'commun'. Cependant, des alternatives de plateformes coopératives existent, tel que Stocksy, dont tous les photographes participants sont copropriétaires, ou encore Fairmondo par exemple. Dans ce cas, on peut dire que la plateforme relève du 'commun'.


Dans le modèle de l'économie du commun, le pair à pair consiste en une collaboration qui a pour but de créer un vrai commun, c'est l'objet même de la communauté, comme dans le logiciel libre ou le design partagé. Il y a alors une vraie communauté de contributeurs et de normes sociales qui peuvent être imposées aux entreprises, etc... La vraie révolution est à trouver ici. Le marché étant le modèle dominant, 'distribuer' simplement le marché n’aurait aucun sens, surtout quand on sait que les marchés ont une tendance « fatidique » à se monopoliser.


Selon moi, c'est donc le second modèle qui représente la vraie révolution anthropologique, car il met le commun, et non pas le marché, au cœur de la création de valeur, avec les entreprises dans sa périphérie. La vraie production entre pairs est donc porteuse d'un nouveau modèle social, post-capitaliste, à condition de pouvoir transformer le modèle marchand en un modèle 'génératif' et non 'extractif'. Entreprendre veut dire 'prendre entre'. Aujourd’hui, nous devons créer des "entre-donneurs", c’est-à-dire des coopératives et autres modèles qui créent une économie pour et autour des communs.

 

Vous dîtes que ce sont les utilisateurs qui co-créent la valeur des plateformes collaboratives actuelles, en particulier au travers de leurs données personnelles. Pour autant les plateformes ont souvent tendance à concentrer tout le pouvoir et la valeur : dans quelles conditions des alternatives qui associeraient plus équitablement les utilisateurs peuvent-elles exister ?

Les utilisateurs créent directement la valeur d'usage, soit en contribuant au commun, soit en échangeant entre eux. Dans le premier cas, c'est leur attention qui devient la marchandise, dans le deuxième, c'est une sorte de taxation médiévale. Pourquoi ne pas considérer que les plateformes et écosystèmes relèvent de la copropriété et de la co-gouvernance de ceux qui créent la valeur, afin que celle-ci puisse être réinvestie dans ces dites communautés. Il faudrait alors créer des 'coopératives de plateformes' et des 'coopératives de la donnée'.

 

Vous mentionnez des groupes de juristes en France (e.g. Share Lex) qui travaillent sur la transformation des lois en faveur de l’économie du partage. Auront-elles un impact sur notre société ? Au-delà quelles seraient les leviers de régulation à explorer ?

Tous les citoyens qui contribuent aux communs doivent prendre conscience que ce modèle est porteur de nouvelle valeurs, d'une économie nouvelle, et d'une société nouvelle, et c’est ensuite qu’ils trouveront une 'voix' dans cette société. Des 'Assemblées des Communs’ émergent partout. A Lille, où il y a une importante communauté active à la promotion des communs, à Barcelone où une coalition pro-commun - dont la politique officielle est celle de l’économie du commun collaboratif - a gagné les élections municipales. Ce n'est donc pas une utopie. En Islande, le parti Pirate, va probablement devenir majoritaire, est-ce une expression de la culture digitale des communs ?

 

 

Michel Bauwens

Michel Bauwens est un théoricien du Pair à pair, auteur et conférencier sur des sujets prospectifs impliquant technologie et culture.


Illustration : Flickr Leo Hidalgo - CC BY 2.0  

Document reference

Cahier IP Édition spéciale Comité de la prospective : "PARTAGE !"


Article rédigé par Anuchika Stanislaus , Stagiaire au sein du pôle études, innovation & prospective