Quels modèles économiques pour les entreprises qui font le pari de la restitution des données?

Rédigé par Geoffrey Delcroix

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18 mai 2016


Après des cahiers d'exploration qui ont joué un rôle pionnier dans l'ouverture de la "terra incognita" du self data, la FING s'associe avec Without Model dans le cadre d'un des défis du projet Mes Infos pour analyser la valeur créée par le self data. 

Depuis 3 ans, dans le cadre du Projet Mes Infos, la FING et ses partenaires (dont la CNIL) explorent le monde du "Self data", c'est-à-dire la restitution et la réutilisation des données qui les concernent par les individus.  

Après une expérimentation et deux cahiers d'exploration généraux, le projet a identifié plusieurs Défis et prépare un Pilote "grandeur nature". Parmi les défis, la clarification des modèles économiques reste une des questions majeures. Certes, les utilisateurs peuvent favoriser les entreprises qui leur rendent leurs données; certes, le droit peut imposer cette restitution, à l'instar du nouveau droit à la portabilité prévu dans le Règlement général sur la protection des données au niveau européen; mais du point de vue de la rationalité économique, quelle valeur peut avoir ce nouveau territoire du Self data pour les détenteurs de données? 

En effet, si ce monde est plein de promesses, celles-ci ne seront vraiment réalisables que si tous les acteurs "y trouvent leur compte". Or, trop souvent marquées par une (fausse) impression de propriété sur les données, les entreprises semblent réticentes à un partage qui induirait nécessairement une concurrence plus intense. 

Les entreprises semblent partagées entre l'impression qu'elles sont assises sur un trésor potentiel (des données qui peuvent servir à toutes sortes d'innovations) et le fait  que ce trésor ne leur "appartient" pas vraiment au sens traditionnel. 

Bien sûr, quand on est nourri de la philosophie qui préside au droit européen de protection des données, qui est fondamentalement un droit d'autonomie de la personne (le fameux "droit à l'auto-détermination informationnelle" remis en valeur par le Conseil d'Etat en 2014) et pas un droit patrimonial, ce chemin intellectuel est facile. Mais comment construire un raisonnement économique rationnel, convaincant et incitatif pour les détenteurs de données? C'est à ce défi que les partenaires de Mes Infos, la FING et Without Model se sont attaqués en 2015. 

Selon les auteurs, deux conditions économiques sont nécessaires pour réaliser la restitution des données personnelles aux individus : "il faut d’une part que les organisations détentrices y voient un intérêt économique et d’autre part qu’un écosystème de services soit en place."

Concernant l'écosystème émergent de services, les modèles de revenu sont très divers (infomédiaire, freemium, plateforme, apporteur d'affaires) et le rapport montre, en prenant 6 exemples de services existants (CozyCloud, MyPermissions, Digi.me, Ctrlio, Sanoia et Umanlife), que l'heure est encore à l'exploration... par les start-ups. 

Concernant la valeur créée pour les détenteurs initiaux de données, 3 pôles semblent mobilisables : 

  • développer les revenus en vendant plus efficacement, plus cher ou en accroissant son rôle de point de passage;
  • réduire les coûts de production des données, en transférant par exemple des tâches aux utilisateurs ou réutilisateurs;
  • obtenir une position stratégique en renforçant sa position dans un secteur, par exemple en renforçant la fidélisation. 

Les auteurs  illustrent enfin ces axes par 3 scénarios d'usage : le premier concerne un acteur créant "une API sécurisée, et invitant des développeurs à créer des “apps” à destination de leurs clients", le deuxième présente "un détenteur de données mettant à disposition de ses clients leurs données personnelles sur une plateforme de stockage de données personnelles (ex : cloud personnel), dans le cadre d’un partenariat avec cette dernière" et enfin le dernier est celui d'une organisation qui, "bousculée par un nouvel intermédiaire, choisit de s’engager dans le Self Data (en permettant à ses clients de transférer de manière simple, standardisée et sécurisée leurs données au service tiers de leur choix)".

Dans ce dernier cas, les auteurs considèrent que la meilleure stratégie reste de "couper l'herbe sous le pied des disrupteurs" en rendant plus facile l'accès aux données, et non pas d'essayer d'élever des murs autour d'elles. A l'orée de l'entrée en vigueur d'un cadre juridique créant un droit à la portabilité des données au profit des individus, cette recommandation parait à tout le moins mériter la recommandation finale des auteurs : expérimentons ! 


Article rédigé par Geoffrey Delcroix , Chargé des études prospectives